Narduccio a écrit:
Pour normaliser les impôts, il faudrait changer de paradigme, ou plutôt comprendre comment se crée la richesse de nos jours.
Parfaitement ! Enfin, la richesse se crée toujours de deux manières différentes depuis la nuit des temps : troquer un bien ou un service ; troquer l'abstention d'un pouvoir de nuisance.
Ce qui convient de comprendre est comment taxer la richesse ou la création de richesses de nos jours.
Avant, les collectivités taxaient des ventes de biens, elles sont devenues à peu près capables de taxer des ventes de services mais taxer les ventes d'informations leur est compliqué pour des raisons parmi lesquelles les suivantes peuvent figurer :
1. immatérialité ;
2. problème de preuve (information donnée, reçue ?) ;
3. incapacité d'évaluer la valeur de l'information (ça vaut pour les acheteurs)...
Revenons à la base de la taxe, qui constitue en soi une création de richesse pour ceux qui la prélèvent et en bénéficient. Elle est fondée sur l'usage du pouvoir de nuisance du "taxeur" (en tant que service de "protection" des taxés) et d'abstention du pouvoir de nuisance du "taxeur" contre d'éventuels prédateurs des taxés ET les taxés qui refuseraient la "protection".
Je prends comme exemple les foires du conte de Champagne ou les souks orientaux. Nous avons un "seigneur" qui "protège" des marchés, lesquels cèdent une taxe (rappelons que celle-ci est prélevée sur tous les acteurs du marché et à leurs unique dépens, client comme commerçant, salarié comme employeur). Si les acteurs du marché refusent de payer la taxe, ils subissent soit le pouvoir de nuisance du "seigneur" (prélèvements sous forme d'amendes, confiscations, spoliations, pillages, violences, otages...), soit par absence de "protection" contre les prédations externes au système (voleurs, brigands, soldats, collectivités étrangères...). Pour que la taxe soit mise en place, il faut à la fois un puissant "seigneur" capable de "protéger" le marché, ce qui revient à contrôler un territoire sur lequel le marché se déroule ; et des acteurs du marché attirés par la "protection" mise en place (généralement sur un territoire donné, et de préférence selon des règles d'arbitrage stables dans le temps et connues de tous).
C'est toujours valable pour les États et marchés modernes.
Les "géants du Net" ne fournissent que des données numériques, probablement beaucoup moins contrôlables et intelligibles qu'on les présente souvent. Ça ne coûte rien, ça ne rapporte qu'à ceux qui savent les utiliser et surtout à ceux qui les vendent. Ils possèdent un vaste choix de territoires et de protecteurs, plus ou moins libéraux (en terme de libertés comme de taxes généreusement légères), et les autres protecteurs sont bien en peine, à la fois, de leur faire préférer leur protection ET de pouvoir les agresser en cas de refus de protection...
Les deux raisons qui empêchent des États de taxer ces entreprises milliardaires sont que les marchés "protégés" par ces États ne sont pas attirants (plus taxés que les autres et dont la protection est inutile) et que ces États ne peuvent user de leur pouvoir de nuisance contre ces entreprises...
En somme, le pouvoir de nuisance des "taxeurs" fait tout : il permet de contrôler un territoire et d'effrayer les récalcitrants. Ces entreprises du Net se jouent de l'impuissance des États modernes ; le conte de Champagne ne pouvait pas davantage taxer les souks que les émirs ne pouvaient taxer les foires de champagne...
Par exemple fantaisiste, si la France se mettait à exécuter les dirigeants des entreprises du Net qui refuseraient de lui payer des taxes, certains de ces dirigeants pourraient reconsidérer la question ; ils pourraient néanmoins compter sur la protection d'autres puissances, et de préférence les moins gourmandes en matière de taxe.
Tout n'est que troc.
Pour qu'une entreprise ou un individu paie des taxes à la France, il faut qu'il gagne davantage à le faire qu'à ne pas le faire, et ça n'est pas qu'une question financière.