Avis d'un optimiste qui se fonde sur les statistiques :
Citation:
Depuis notre dernier entretien, en 2016, êtes-vous toujours certain que la violence décline ?
Steven Pinker : […] Dans l’édition française de « La part d’ange en nous », j’ai fait des mises à jour avec des graphiques sur les guerres, crimes, terrorismes, violences envers les femmes et les enfants… La plupart des mesures confirment un déclin depuis la première parution du livre en 2011. Oui, la violence continue à baisser. La seule exception est une mince hausse du taux de morts au combat du fait du conflit syrien. Mais même en comptabilisant cette terrible guerre civile, ces taux sont bien plus bas aujourd’hui qu’ils ne l’étaient dans les années 1950, 1960, 1970 et 1980.
[…] C’est ainsi qu’on pense que la violence ne cesse de croître, alors que le contraire se produit depuis des siècles.
[…] En France, les écologistes vous qualifieraient de suppôt des producteurs d’électricité…
Et je leur répondrais que les écologistes sont les suppôts des compagnies charbonnières ou pétrolières, car, quand une centrale nucléaire ferme, on la remplace par des énergies fossiles ! […] Le nucléaire est la seule source d’énergie qui soit abondante, extensible et sans carbone. Elle est plus sûre que les énergies fossiles ou la biomasse. […] Mais l’affirmation catastrophique que la démocratie libérale serait sur le point de succomber est fausse. […] Le Polity Project, qui note les pays en fonction de leur degré de démocratie ou d’autocratie, montre que 2015 a fourni le meilleur résultat en faveur de la démocratie depuis 1800. Dans les années 1970, Willy Brandt se lamentait que « l’Europe occidentale n’a plus que vingt ou trente ans d’années de démocratie à vivre ; ensuite, elle sera engloutie par l’océan environnant de dictatures ». Faux ! À l’époque, il y avait dans le monde 35 démocraties. En 1989, on est monté à 52. En 2009, à 87. Et aujourd’hui, c’est 103. Une majorité de pays sont plutôt démocratiques, et deux tiers de la population mondiale vivent en leur sein (alors qu’en 1950 c’était 2/5, en 1900 1/5 et en 1816 1 %). Même l’autoritaire Chine accorde beaucoup de libertés personnelles à ses ressortissants, à la condition qu’ils ne critiquent pas la domination du Parti communiste. Elle est aujourd’hui bien plus libérale que sous le régime autoritaire de Mao. Et le World Values Survey montre que les gens dans le monde entier – y compris l’Afrique subsaharienne et le monde islamique – deviennent plus libéraux depuis les années 1960 dans leurs attitudes vis-à-vis des droits des femmes, des homosexuels ou de la participation démocratique. Ce sont des tendances historiques qui ont pour moteur l’éducation, l’accès à l’information, l’urbanisation, et il est improbable qu’elles s’inversent.
Selon vous, « un monde plus intelligent est un monde moins violent ». Mais Internet permet l’essor d’idées absurdes comme la théorie de la Terre plate…
La Société de la Terre plate a été fondée en 1956, bien avant Internet, et ma génération (les baby-boomers) était férue d’astrologie, de tarot, de Hare-Krishna… Dans les années 1960, un juge américain a envoyé un couple interracial en prison parce que « Dieu a mis des races sur différents continent et ne veut pas les mélanger ». Les gauchistes ont vénéré Mao, Castro et Khomeyni, et ils ont affirmé que la promiscuité, y compris sexuelle, avec les enfants feraient du monde un endroit meilleur. Il y a de la stupidité et de l’irrationalité à chaque époque. À vrai dire, le monde devient plus rationnel. Sur Internet, il y a énormément de sites sérieux de médecine, de data-journalisme ou de vérification des faits. L’exception, c’est la politique électorale. Les gens votent pour exprimer leur identité tribale, pas pour choisir le meilleur programme, et ce tribalisme politique est la seule irrationalité qui grandit aujourd’hui.
[…] Nous, nous regardons les chiffres, pas les titres des journaux. Et ces chiffres montrent que le monde est vraiment en train de s’améliorer. […] Et si les tendances montraient un déclin ou un danger, je le dirais sans problème : les émissions de carbone et le réchauffement climatique sont un bon exemple.
2017, Le Point 2352, 164-166