Narduccio a écrit:
Oui, au départ un dictateur arrive au pouvoir en s'appuyant sur un parti ou sur une faction militaire. Après, il faut durer. Cela ne peut se faire qu'en divisant et en s'appuyant sur des minorités, si possibles plus ou moins complices.
J'ai un peu de mal à trouver cette généralisation très convaincante, en général les dictatures essayent au contraire de représenter une majorité idéalisée et appuient leur discours sur le rejet d'un certain nombre de minorités. Le cas de la Syrie (je pense que vous avez en tête la Syrie et l'Irak de Hussein) en est un bon exemple: le gouvernement est nationaliste arabe, donc l'identité arabe (qui est celle de la majorité de la population) est mise en valeur pour réduire les différences confessionnelles existant au sein de cette majorité. La minorité kurde dans ce contexte est marginalisée car non-arabe, on tente de créer une identité syrienne (essentiellement arabe cependant) qui effacerait justement les différences. Dans ce contexte l'identité alaouite du président n'est mise en valeur que par ses opposants, puisque lui-même la minimise, épousant une Sunnite et fréquentant une mosquée sunnite.
Par contre il y a bien des réseaux familiaux alaouites, doit-on y voir l’expression d'un diviser pour régner? Notons pour commencer que tous les dignitaires du Baas ont eu leurs réseaux et comme Tlass, tous n'étaient pas alaouites. J'y vois plutôt l'expression de réflexes politiques assez courants. Les dictatures arabes comme beaucoup d'autres régimes se sont appuyées sur des réseaux privilégiés, souvent familiaux, tribaux. Confondre ses réseaux avec des minorités continue à me paraître peu pertinent et la porte ouverte à des généralisations bien pratique lorsqu'il s'agit de trouver des boucs émissaires (genre: tous les Sunnites sont des victimes, tous les Alaouites des coupables). En Libye, j'ai un peu de mal à voir sur quelle minorité s'appuie Kadhafi, sur des liens tribaux c'est sûr, mais Sunnite arabisé comme la plupart des Libyens je ne vois pas trop à quelle minorité il appartient. Souvent ces dictateurs arrivent à la faveur de coup d’État ou de révolution et ils ne s’appuient alors que partiellement sur les élites en place, fatalement ils créent des réseaux, mais recherchent aussi un minimum d'approbation populaire. J'ai donc du mal à voir un "système" dans cette histoire de minorités.
Aigle a écrit:
Les partisans du dictateur craignent une chute du régime qui impliquerait de terribles représailles contre eux. C'est pourquoi les Alaouites, les chrétiens et la bourgeoisie suinte soutiennent massivement Assad. Même si tous ensemble ils ne représentent pas le tiers de la population ...c'est une minorité certes mais assez nombreuse pour tenir l'armée et la police ...
On m'a souvent reproché sur ce forum de défendre des positions assadistes, mais je voudrais rappeler une chose, en 1940-44, la population française était-elle divisée entre Gaullistes et Pétainistes? Non, les mêmes personnes qui accueillaient Pétain en triomphe, sont descendues pour acclamer De Gaulle. Le combat entre résistance et collaboration a été porté par une minorité. En Syrie, je ne vois pas les choses très différemment, il y a une minorité agissante en faveur du départ d'Assad et une minorité agissante en faveur de son maintien. Ces deux minorités ont toujours existé et leur poids respectifs a pu varier au fil du temps.
Mais il y a bien sûr un autre point: la popularité générale de ses deux positions au sein de la population. Et là bien sûr les choses sont moins claires et sont aussi susceptibles d'évoluer. Ici les sentiments ne sont pas nécessairement liés à une personne ou à une idéologie, comme c'est le cas pour les minorités agissantes, mais à des conditions souvent liées à la vie quotidienne. Ainsi l’État Islamique a connu une certaine popularité parce qu'il apportait l'ordre après le désordre des milices. Des études ont été effectuées auprès des réfugiés au Liban (j'ai donné des liens dans de précédents messages) et aujourd'hui, la fin de la guerre est évidemment ce qu'attend cette majorité de Syriens.
Mon point de vue est connu: je pense qu'aucun des deux sentiments n'a jamais été majoritairement populaire, en 2011 beaucoup de Syriens auraient vu partir Assad sans trop de regrets, mais l'opposition n'a pas su pour autant profiter de la "majorité silencieuse", car cette majorité est restée étonnamment passive. En fait ce qui se passait en Syrie a peut-être créer plus de passions à l'extérieur du pays qu'à l'intérieur. La minorité agissante anti-Assad a été incapable de convaincre en masse, les militaires désertaient en nombre, mais sortaient de Syrie plutôt que de rejoindre l'ASL. Et assez naturellement des minorités se sont retrouvé surreprésentées parmi les minorités agissantes: Alaouites dans l'armée et Salafistes parmi les rebelles. Et si l'on peut dire qu'aujourd'hui Assad a gagné, c’est aussi sur le terrain politique où en 7 ans aucune alternative sérieuse n'a su se mettre en place malgré l'énergie et l'argent dépensés par les puissants soutiens de la rébellion.