Aigle a écrit:
Il me semble que le plan Macron est intéressant car il propose une méthode et quelques pistes d'intégration claires (la défense en particulier). Il correspond bien au calendrier en tirant parti du fait que le Brexit exclut Londres de la discussion et que le discrédit de Trump empêche Washington de mettre son veto.
Evidemment ce ne sera pas facile. Notamment parce que Merkel n'aura qu'une autorité très limitée sur son gouvernement et sa majorité (si elle existe !) et parce que l'opinion publique allemande (en classes moyennes et supérieures, milieux d'affaires) est fondamentalement anglophile et américanophile et n'adhère pas vraiment (voire pas du tout) à l'idée d'une fédération avec les pays méditerranéens). sans oublier l'hostilité radicale des Allemands à une dette europeenne ...
Sans oublier que nos propres militaires préféreront coopérer avec l'US Army ou les Anglais qu'avec une Bundeswehr corsetée dans ses règles juridiques ...
Et que se passera t il si Berlin demande le transfert à l'UE de notre force de frappe ? hypothèse d'école bien sûr mais qui montre la limite de l'exercice.
L'hypothèse que vous soulevez, Aigle, n'est pas si virtuelle que cela. Certains cercles commencent à en parler à bas bruit. Et je ne prends pas grand risque de me tromper en émettant l'hypothèse que vous en avez-eu quelque écho.
Mon avis sur cette hypothèse d'école, c'est que ce serait un suicide pour la France qui serait ainsi ravalée au rang de l'Italie (et encore, car l'industrie italienne, quoi que terriblement affaiblie ces dernières années, est plus importante que l'industrie française) car la force de frappe nucléaire est l'atout qui fait que la France a encore une voix qui compte dans le monde.
Transférer cette force de dissuasion, c'est la perdre aussi sûrement que la France n'a plus de monnaie et n'a plus l'outil de la politique monétaire. C'est la perdre et, en pratique, la remettre entre les mains de la MittelEuropa qui domine l'UE pour des raisons arithmétiques. Laquelle MittelEuropa est dominée par l'Allemagne pour des raisons économiques, géographiques, et historico-culturelles évidentes.
Fort heureusement, cela n'arrivera pas. Non pas parce que les autorités françaises (je ne parle pas de nos dirigeants actuels mais d'une équipe dirigeante qui, à un moment, prise dans la dialectique de la bicyclette européenne) ne seraient pas un jour capable de commettre une telle folie que de proposer un tel deal. Les élites dirigeantes françaises, qui ont le goût des concepts théoriques et des gigantesques paris fumeux qui tournent au fiasco une fois mises en oeuvre, en seraient tout à fait capables. Mais parce que l'Allemagne, elle, sera raisonnable et réaliste pour deux, même si la France voulait l'entraîner dans une telle folie.
L'Allemagne n'acceptera jamais la contrepartie d'une telle hypothèse d'école, à savoir la mise en place d'une union de transferts. Elle agira en sorte de démonter l'UE et de la ramener à une conception britannique le jour où les autres pays européens voudraient à tout prix imposer un tel deal. Il suffit de voir la position des partis politiques allemands et leur évolution sur le sujet, avec le FDP qui évolue notamment vers une forme de libéral-souverainisme, sans parler de la poussée de l'AfD, et des tensions internes à la CSU et à la CDU, qui connaissent parfaitement le refus farouche et définitif des allemands de payer pour les autres et qui sont furieuses que Merkel les ait conduit au pire résultat électoral de leurs partis depuis 1949 en raison de sa politique européenne et migratoire.
Aigle a écrit:
Un petit détail en passant : Macron semble vraiment bien gérer son plan. Non seulement il a trouvé un équilibre entre volontarisme (réel) et réalisme (le plan ne frappe pas trop fort) mais en plus il paie de sa personne pour le vendre à ses homologues ...
Seules critiques de ma part. D'une part, il s'expose trop : en cas d'échec, il en portera la responsabilité ... C'est courageux mais dangereux ...
D'autre part, créer une zone intégrée à 18 (la zone euro) est trop ambitieux. Je pense qu'il faudrait se limiter à la dizaine de pays d'Europe de l'Ouest aux économies et aux psychologies collectives compatibles. Je ne crois pas raisonnable de construire une Union renforcée avec les pays baltes ou la Grèce...
Je ne trouve, par ailleurs pas que Macron gère bien son plan. Certes, si nous focalisons notre attention sur les réactions des seuls zélateurs du projet d'un fédéralisme européen, c'est beau, ambitieux, lyrique, volontariste mâtiné de réalisme et d'habileté. Je suis plus que dubitatif sur l'habileté de la démarche de Macron, surtout si on élargit le champ et si on se penche un peu sur le mode de fonctionnement et les lignes rouges des autres pays européens, à commencer de celui qui est le plus important parce que rien ne peut se faire sans son accord depuis au moins 25 ans : l'Allemagne.
Je vous livre le point de vue exprimé dans Causeur par Luc Rosenzweig, ancien rédacteur en chef au Monde, sur le discours européen de Macron à la Sorbonne.
https://www.causeur.fr/macron-europe-al ... kel-146881En voici le texte :
a écrit:
Macron l’Européen inaudible en Allemagne
par Luc Rosenzweig - 27 septembre 2017
Angela Merkel fait un usage modéré de Twitter, et utilise le mode gazouillis à 140 signes (bientôt 280) pour formuler des politesses protocolaires en Allemagne et ailleurs, genre condoléances ou félicitations à ses concitoyens ou à des nations frappées par le destin, ou, au contraire célébrant une victoire ou un exploit.
Mutisme à la Chancellerie
A la différence de Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne qui a félicité par tweet son « ami Emmanuel Macron » de son discours « très européen », la chancelière, et ses porte-paroles habituels sont restés muets.
Ce n’était pas, pour une fois, en raison de la répugnance culturelle de nos voisins à réagir à chaud, puisque Angela Merkel, mise au courant avant les élections du 24 septembre de la teneur du discours du président français, avait fait passer quelques messages à son opinion publique par le biais de confidences à la presse à la veille du scrutin. Elle ne s’est pas exprimée directement, évitant ainsi à Macron l’affront d’une fin de non-recevoir humiliante, mais son très proche entourage a été on ne peut plus franc et direct : Macron est un impatient qui met la charrue avant les bœufs, présente des solutions sur tout avant d’avoir établi, en concertation avec ses partenaires, un diagnostic des problèmes à régler. On peut certes, parler de tout, y compris de la révision des traités européens, mais tranquillement, à l’allemande, sans lancer tous azimuts des propositions décoiffantes propres à braquer son opinion publique insensible au lyrisme et à la rhétorique fleurie de notre jeune président.
L’homme pressé
Même la presse de gauche d’outre-Rhin, plutôt favorable à la vision macronienne d’une relance européenne vigoureuse prend quelque distance avec la méthode Macron, comme l’éditorialiste de Die Zeit, l’hebdomadaire de Hambourg, dont Helmut Schmidt, grand européen devant l’Eternel, fut le directeur jusqu’à sa mort en 2016 : « En agissant ainsi, écrit-il, « il fait une chose que la chancelière déteste au plus haut point : il lui met la pression et encore la pression. C’est l’homme pressé qui ne sait pas donner du temps au temps. Il a, dans son discours de la Sorbonne, tiré un feu d’artifice d’idées. Comme prévu il propose un budget, un ministre des Finances et un parlement de la zone euro. A Berlin de telles idées se heurtent au plus grand scepticisme. On craint que la France ne veuille instaurer par ce biais, au bout du compte, une Union des transferts ».
Seul Sigmar Gabriel, ministre sortant social-démocrate, en route vers les bancs de l’opposition s’est fendu d’une déclaration saluant les propos d’Emmanuel Macron : « Il peut compter sur nous ! » s’écrie le futur ex-chef de la diplomatie fédérale, enfin libéré des contraintes de la coalition avec Merkel. Un soutien, qui sans être négligeable, n’est pas de nature à casser la baraque ni à faire dévier la ligne de la future coalition dite « jamaïcaine » (CDU-Verts-libéraux) dont on peut être certain qu’elle sera moins encline à lâcher du lest sur les dogmes austéritaires et ordo-libéraux qui dominent dans le mode de pensée allemand relatif à la gestion de la chose commune européenne.
Les Polonais furieux
La qualité formelle de la parole macronienne, ses accents visionnaires font, certes, se pâmer d’aise Dany Cohn-Bendit et Bernard Guetta, mais ces qualités sont portées, en Allemagne et dans les pays nordiques, au débit de notre très intellectuel et très éloquent président, soupçonné de vouloir emballer dans de belles paroles des fourberies inacceptables. Dans ces pays, un bon discours est un discours chiant, prononcé d’une voix monocorde, mais dont on peut être certain que son contenu a valeur de contrat avec ceux qui l’entendent. A l’Est, ce n’est guerre mieux : les Polonais sont furieux des charges de Macron contre les travailleurs détachés. Un ami de Varsovie me signale que la cote de la France chez lui est en train de tomber au niveau de celle de la Russie… les Tchèques, Slovaques et Hongrois suivent Berlin dont ils bénéficient des retombées de la bonne santé économique, pour autant que Merkel ne vienne pas les gonfler sur la question des migrants. Ce groupe de pays n’est pas mécontent de la claque relative que vient de subir celle qui voulait leur imposer des quotas de réfugiés. Ils écoutent poliment quand Macron vient leur causer, mais continuent à agir dans le sillage de l’Allemagne. A cette Europe-là, Macron n’a encore rien compris, même s’il se pique de philologie comparée sur les différences de signification du mot « dette » en français et « Schuld » en allemand, pour montrer qu’il est instruit.