Bonjour à tous, et merci à Phocas d'avoir ouvert ce sujet passionnant.
Je suis tombé récemment sur un ouvrage du général anglais Smith (hé oui) qui ouvre des perspectives nouvelles sur ce sujet. J'essaierai de vous résumer ses idées... et de remettre la main sur ce bouquin.
Le titre : "
L'utilité de la force." (En clair : à quoi sert un militaire ?)
Smith a commandé entre autres la Forpronu (après Srebrenica) puis les forces anglaises en Irlande. A dû se balader en Afghanistan, mais pas en Irak.
Le point essentiel : l'époque des guerres militaires est révolue.
D'abord parce que le cas de figure où l'armée d'un état affronte celle d'un autre état est devenu rarissime.
Ensuite, parce que les conflits armés ne sont plus des guerres concernant les seuls militaires. Ni dans un camp ni dans l'autre.
Les nouveaux conflits ont en communs les points suivants : (de mémoire... je vais donc en oublier)- l'ennemi n'est pas une force armée régulière.
- le conflit se déroule parmi les populations.
- les populations elles-mêmes constituent l'enjeu du conflit.
- l'ennemi peut pratiquer la provocation à l'abus de la force : la répression aveugle ou excessive renforce sa cause.
- les militaires (notre camp) interviennent le plus souvent dans le cadre d'une coalition : ils dépendent à la fois de l'autorité de leur gouvernement et du commandant des forces de la coalition.
- le conflit se déroule en présence des médias. (Les médias vont en faire le récit)
- le conflit est... sans fin. En tous cas il se joue sur une longue durée.
Je crois que je n'oublie rien, dans cette liste propre à décourager toute vocation militaire...
Le général Smith ne se laisse pas... abattre
(normal, c'est un soldat) et propose des réponses, constats, idées... issus de son expérience et de réflexions conjointes menées avec ses collègues de toutes nations.
Comment gagner un conflit :- la résolution d'un conflit est un problème politique, qui doit être mené avec un objectif politique, pour lequel contribueront des services civils (infrastuctures, constructions... asssociés au Génie si nécessaire) des fonctionnaires (administration directe ou indirecte des populations) des ONG (aide humanitaire, médicale, scolarisation...) et des militaires.
- Il est souhaitable que la coordination de l'ensemble soit centralisée sous une direction unique au niveau du théatre d'opération.
- les actions destinées à se gagner la population doivent répondre à un plan cohérent : on souhaite voir évoluer la population, il faut définir les actions qui vont dans ce but et exclure les autres.(En clair : il faut avoir une "idée de manoeuvre" politique qui se décline en actions concrètes, militaires ET civiles, compréhensibles par les 2 camps)
- En aucun cas on ne doit laisser l'adversaire vous dicter votre façon de combattre.
- Chaque conflit amène à utiliser d'une façon nouvelle les armes et les équipements existants : tous ne demandent pas les mêmes combinaisons d'armes, mais de plus il arrive qu'un équipement soit utilisé pour un autre usage que celui prévu. par exemple : il est fréquent que des véhicules blindés ne servent que de moyen de transport sécurisé, sans jamais combattre.
- Le rôle du renseignement est essentiel.
- Le commandant en chef doit établir une relation de confiance avec les médias. De toutes façons, ils feront le récit de la guerre. Le plus simple est de leur raconter la guerre, et sans mentir. Il est important aussi de leur montrer les enjeux civils : par vocation, ils ont tendance à privilégier l'aspect militaire et les histoires saignantes. Comme s'il s'agissait d'un guerre militaire à l'ancienne.
- L'action doit se poursuivre autant d'années que nécessaire.
Fin du cours magistral. Qu'en pensez-vous ?Il y a là un diagnostic et une grille d'analyse cohérents. Si on passe cette grille d'analyse sur les conflits en cours, on réalise qu'on est loin du compte, mais pas forcément de façon irrémédiable.
Du coup j'ai envie de répondre à quelques posts, en prenant cet angle d'attaque.
Phocas a écrit:
Autre question et peut-être la plus intéressante : une armée peu importe laquelle peut-elle gagner une guerre comme l’Irak ou l’Afghanistan ?
Que faut-il de plus qu'une armée pour gagner en Irak ou en Afghanistan ? Et dans chacun de ces deux conflits, que signifie "gagner" ? (autrement dit : qu'est-ce qu'on veut obtenir comme situation finale)
Par exemple, on peut parfaitement estimer qu'on aura gagné en Afghanistan lorqu'elle sera redevenu un pays féodal fermé et qui n'accueille que des Afghans, lesquels se battront entre eux comme ils le font depuis toujours. Dans l'absolu, nous n'avons pas besoin de l'Afghanistan.
Si "gagner" signifie "établir un pouvoir afghan démocratique et durable" on voit bien que les moyens, les méthodes et la durée du conflit changent.
Que signifie pour vous : "gagner en Afghanistan ?" Méandre a écrit:
La menace est-elle terroriste? Je la considère plus meurtrière sur le plan économique et humain.
la menace terroriste est pénible, elle fait des morts, mais elle ne représente pas un danger pour notre mode de vie ou notre liberté.
Huyustus a écrit:
Notons quand même que les guerres proprement dites d'Irak et d'Afghanistan ont été gagnées. Ce qui est plus compliqué, c'est la pacification des territoires après la victoire militaire...
C'est quoi une guerre proprement dite ? Ce que vous appelez "pacification" a coûté 10 fois plus de tués à l'armée américaine que l'action initiale. 4000 tués pour 300 ou 400 pendant l'action initiale.
Quand on perd 10 fois plus de soldats après la victoire, il faut se demander s'il y a eu victoire. Pour moi c'était le véritable début de la guerre.
Ce qu'on appelle aujourd'hui une guerre, c'est exactement ce qu'il se passe en ce moment. Il ne s'agit pas de "pacification", mais d'une guerre au milieu de la population, et dont la population est l'enjeu.
Les USA semblent avoir trouvé l'objectif - l'idée de manoeuvre politique - qui leur manquait au départ. Leur objectif actuel est de mettre en place une démocratie apparente (avec un parlement élu) sous le contrôle - ou la protection - d'une force armée essentiellement sunnite capable de réprimer les milices shiites ou les terroristes étrangers, sans aide américaine.
Geopolis a écrit:
Les menaces économiques pesant actuellement sur les sociétés modernes sont-elles comparables avec les disettes et les famines ? Avec les épidémies et les agents infectieux ? Avec le tabagisme ?
Je vais paraître stupide, mais je pense que oui.
Pour moi la guerre économique a remplacé la guerre tout court, et elle peut détruire un pays avec une efficacité presque équivalente. Il suffit de se rappeler dans quel état se trouvait l'Angleterre avant l'élection de Thatcher : industrie périmée, innovation nulle, chomage galopant. (En plus le remède a failli tuer le malade : au total les Anglais ont vécu 20 ans d'enfer) Ou l'Argentine après le hold-up mené par le président... flute, heu... Duarte, je crois, et son parti : réduite à une économie de troc. (le pesos ne valait plus rien)
En France, on compte 7 millions de personnes en dessous du seuil de pauvreté (800€/mois pour un célibataire) dont 2 millions d'enfants "en situation de grande pauvreté", terme détestable pour une situation qui me révolte. Ceux-là seront pauvres toute leur vie.
Qu'on ne me dise pas que ça n'a pas d'effets sur la santé et la longévité des personnes : la grande pauvreté tue. Et on peut parfaitement imaginer la France dans une situation économique bien pire qu'aujourd'hui. Si les entreprises disparaissent, le système social coule avec. La guerre économique tue ! (et dans cette guerre, l'Europe fait du désarmement unilatéral)
J'arrête là-dessus : c'est hors-sujet. La guerre économique est traitée dans d'autres topics.