Jean-Marc Labat a écrit:
Il y a de gros transporteurs français qui se sont installés à l'est, étranglés par les charges françaises.
C'est pas les charges françaises qui les ont étranglés. Je connais bien le sujet. Avant l'ouverture du marché, la boite de mon ex-femme avait fait un gros shows où elle disait qu'il n'y avait qu'une façon de contrer l'arrivée massive de camionneurs à bas prix du à la libéralisation du marché : satisfaire le client sur la qualité. Le gouvernement avait promis de faire des gestes et tout le monde savait que le respect strict de la règlementation française s'était environ 30% d'augmentation sur les coûts en France. Mais, sur ce point le gouvernement fermait les yeux et acceptait quelques abus.
Toutes les entreprises françaises ont eu l'agrément ISO 9000-9001-9002. On a imposé aux indépendants qui travaillaient dans le secteur une charte de qualité. Par exemple, seuls les camions qui avaient la bâche de la bonne couleur pouvaient être affrétés et la cabine devait être bleue et jaune comme la bâche. Et on a aidé les camionneurs à investir en les soutenant auprès des banques.
Six mois après, retournement de tendance, le client, il s'en fout de la qualité, il veut le meilleur prix. Le respect de la règlementation sociale ? De la règlementation routière ? Je me rappelle d'une période ou suite à un accident impliquant un chauffeur qui avait fait trop d'heures, les gendarmes ont durci leurs contrôles. Un chauffeur de ma femme s'était retrouvé bloqué à un point de contrôle. Le représentant du client a dit qu'il n'en avait rien à cirer, si sa marchandise n'était pas à l'heure, il ne paierait pas !
En quelques mois, les routiers français se sont retrouvés seuls avec leurs camions vides et leurs dettes, plus les belles promesses. Ils ont été nombreux à brader leurs beaux camions à l'est. Et certains ont tout perdu.
A mon avis, coté règlementation, c'est simple, il faut faire raquer le donneur d'ordre. On connait les prix de la tonne au kilomètre pour un camion qui respecte la règlementation. Si on camion est pris ne respectant pas la règlementation, il faut faire payer le donneur d'ordre dans le cas où le tarif est sous ce prix. Ne vous en faites pas, pour le client final, c'est à dire nous, ça représente moins d'un euro pour la plupart des marchandises. Pour l'actionnaire, ça peut représenter un peu plus. Là, je parle juste du respect de la règlementation actuelle, même pas du respect des externalités.
De 1980 à environ 1995, on a incité des chômeurs a devenir leurs propres patrons en devenant chauffeurs routiers. Et oui, pas mal possédaient leur camion et étaient des indépendants. On les a aidé pour cela. On a fermé les yeux sur les non-respects des règlementations sociale et routière. Par exemple, il y a pas mal de camions qui partent de l'Est vers 17h le soir pour aller sur Paris et charger à Rungis au petit matin. Si la règlementation est respectée dans la cabine de ses camions, il doit y avoir 2 chauffeurs. C'est drôle, quand je suis sur l'A35 ou l'A36 a cette heure, je ne vois pas un seul camion avec 2 personnes en cabine. J'ai discuté avec des gendarmes, il m'ont dit: "demain ou en reçoit l'autorisation ? On peut bloquer tous les camions et ne les laisser repartir que lorsqu'il y a 2 chauffeurs." Mais, ils ont l'ordre de fermer les yeux.
Et ouis, après, il y a eu la concurrence des chauffeurs espagnols, portugais et italiens. Et puis, il y a eu la concurrence des chauffeurs des pays de l'Est. Par rapport à chez eux, certains sont très bien payés et payent parfois plus de taxes (en proportion) qu'en France. Mais, leur coût horaire n'a aucun rapport avec le coût horaire d'un chauffeur routier français même s'il ne respecte pas la règlementation. Les chauffeurs ne provenant pas de l'est de l'Europe sont devenus très rares. Et comme je l'ai dit, on les a laissés tombés comme de vieilles chaussettes. Il y aurait surement eu des solutions, si on avait désiré faire quelque chose. Les patrons des gros groupes sont contents, ils font des bénéfices et gagnent très bien leur vie. Ce qui ont souffert dans cette histoire, ce sont les petits. Comme toujours. Et il y a des populistes pour raconter cette histoire à leurs sauces. DAns 10 ans, quand les pays de l'Est proche auront rejoints notre niveau de vie, on cherchera les chauffeurs plus à l'Est. Les patrons devront trouver d'autres magouilles parce que, du fait de la distance, ce ne sera pas aussi rentable. Mais, ils n'auront qu'à proposer de pouvoir les embaucher en France en les payants comme chez eux. Il serait bon que cesse cette hypocrisie.