Pour François-Xavier Oliveau, la TMM s'apparente à un impôt invisible, non consenti par le contribuable.
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La « théorie monétaire moderne », fausse théorie mais vrai impôt
Par François-Xavier Oliveau
Publié le 26 juin 2019
La « théorie monétaire moderne » (TMM) est en vogue. Portée par les échecs des politiques monétaires actuelles, elle est reprise dans plusieurs programmes démocrates aux Etats-Unis, et fait partie du débat public au Japon. Le principe ? Laisser filer les déficits publics afin de soutenir l'économie et financer les dépenses sociales.
Une telle politique s'assimile à une création monétaire et devrait normalement se traduire par une hausse des prix. Normalement. Mais, comme le soulignent les partisans de la TMM, l'inflation reste très basse malgré le laxisme des politiques monétaires et budgétaires. Dès lors, expliquent-ils, pourquoi se gêner ? Aux taux d'intérêt actuels, pourquoi ne pas laisser filer les déficits, puisque, en apparence, c'est sans conséquences ? Au pis, il suffit ensuite de monétiser la dette, c'est-à-dire de faire remplir le trou par la banque centrale.
Une légitimité questionnée
Cette « théorie » ressemble en réalité plutôt à un constat empirique. Elle prend acte de la très faible inflation des prix à la consommation, sans parvenir à l'expliquer. La théorie classique n'y arrive pas non plus : « nous n'avons pas aujourd'hui de théorie de la dynamique de l'inflation qui marche suffisamment bien pour servir à conduire une politique monétaire en temps réel », pour reprendre les mots d'un banquier central, Daniel Tarullo, ancien membre du Conseil des gouverneurs de la Fed.
L'explication existe pourtant. Elle doit être cherchée dans le processus microéconomique de la formation des prix, largement documenté par Schumpeter et Fourastié. Ils montrent que l'innovation et la concurrence font massivement baisser les prix. L'absence d'inflation actuelle résulte donc de deux effets contraires : d'une part, une pression à la baisse constante produite par l'effort quotidien de tous les entrepreneurs, designers, acheteurs et producteurs pour baisser le coût des biens et services, immédiatement transmis dans les prix par le jeu de la concurrence ; d'autre part, une création de monnaie qui compense cette baisse.
La déflation technologique schumpétérienne est la seule interprétation satisfaisante de l'atonie des prix. Elle éclaire les limites prévisibles de la TMM : le déficit budgétaire ne pourra être creusé qu'à la hauteur de la baisse naturelle des prix. Au-delà, il retrouvera naturellement des impacts inflationnistes.
Mais, au-delà de son efficacité éventuelle, c'est surtout la légitimité de la TMM qui doit être questionnée. En faisant monter les prix, toute création monétaire capte une partie du pouvoir d'achat des citoyens. Keynes décrit le processus magistralement en 1919 : « par des procédés constants d'inflation, les gouvernements peuvent confisquer d'une façon secrète et inaperçue une part notable de la richesse de leurs nationaux ». En laissant filer les déficits, la TMM finance des dépenses publiques en ponctionnant le pouvoir d'achat de ses citoyens. Ce dispositif a un nom : l'impôt.
Voila le véritable problème de la TMM : elle est un impôt invisible, non consenti par le contribuable. Elle n'est donc pas en conformité avec les droits constitutionnels du citoyen : comprendre l'impôt, son taux et son assiette. Cela la rend démocratiquement inacceptable.
La création de monnaie nous est devenue indispensable car nous ne savons pas gérer un monde où les prix, donc les salaires, baisseraient. Mais cette création monétaire prend, par essence, de l'argent aux citoyens en ponctionnant leur pouvoir d'achat. Une politique monétaire juste et efficace doit donc le leur rendre directement, en due proportion de ce qui leur a été confisqué et sans autre contrepartie, et surtout sans le faire transiter par l'Etat. Ce « dividende monétaire » serait émis par la BCE, vraisemblablement sous la forme d'une monnaie numérique.
Le dispositif est conforme aux traités européens et faisable sur le plan technique. Il permettrait de corriger les trois effets désastreux de la création monétaire par la dette gratuite : les bulles d'actifs, les taux d'intérêt nuls donc la fragilisation du système bancaire, enfin la redistribution à l'envers. A la TMM, il nous faut préférer le dividende monétaire.