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 Sujet du message: Chute de la Silicon Valley Bank (mars 2023)
MessagePosté: Sam 24 Fév 2024 15:28 
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Séisme bancaire aux USA passé inaperçu en Europe. On relève la tentative de passer l'idée de bénéfices privés et de pertes partagées...
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Nous sommes le jeudi 9 mars, Alexander Torrenegra, jeune PDG-fondateur de la plateforme de recrutement Tribe, bien connu dans la Silicon Valley, se lève de bonne humeur. Heureux de séjourner quelques jours en Colombie, son pays d'origine, il vaque à ses occupations, puis découvre, à 10 h 50, à la faveur d'une pause aux toilettes, des messages inquiétants sur son téléphone portable. Sur un fil de discussion partagé avec des dirigeants de start-up californiennes, certains suggèrent à leurs amis de sortir immédiatement leurs fonds de la Silicon Valley Bank. Cette institution financière locale serait en grave danger…
La journée d'Alexander Torrenegra, dont les deux sociétés sont clientes de la SVB, bascule. Il appelle sa femme, Tania, ainsi que ses collaborateurs pour leur dire de retirer tout le cash de la banque, maintenant ! L'un d'eux est chez le dentiste, mais il décampe aussitôt, il y a plus urgent qu'un détartrage… Toute la journée, jusque tard dans la nuit, Alexander Torrenegra consacrera son temps et son énergie à tenter de sauver son argent. Il y parviendra, mais en partie seulement. Le lendemain matin, vendredi 10 mars, les autorités américaines ferment la Silicon Valley Bank pour protéger les dépôts et limiter le risque de contagion. C'est la plus grosse faillite bancaire aux États-Unis depuis la crise de 2008, et les conséquences sont imprévisibles. […] Le week-end des 11 et 12 mars restera à coup sûr dans les livres d'histoire comme celui où le secteur de la tech américaine, si puissant et influent, a tremblé sur ses bases et où, plus largement, le monde a redouté un effondrement du système financier mondial.

Qui imaginait, il y a encore un mois, que le maillon faible de cet effondrement de cartes serait la paisible Silicon Valley Bank, un établissement aux allures de banque de dépôt fondé en 1983, autour d'une partie de poker ? Elle était méconnue et sans histoire, bien que la 16e banque des États-Unis, avec 35 000 clients et 210 milliards de dollars d'actifs, il y a encore une semaine. Greg Becker, un passionné de vélo, père de cinq enfants, a intégré cette institution en 1993, avant d’en gravir tous les échelons et d’en devenir le big boss en 2011. […] Et pour cause : installée à Santa Clara, une ancienne mission espagnole connue pour la présence de coyotes, SVB gérait le cash des start-up qui levaient de l'argent auprès des investisseurs pour des montants dépassant le milliard. Elle proposait aussi des services classiques de banque commerciale. « La SVB était comme le marché local que l'on chérit, où les gens derrière les comptoirs connaissent les noms de leurs clients, ont le sourire facile, mais font toujours payer le prix coûtant lorsqu'ils vendent un morceau de viande, raconte Michael Moritz, longtemps journaliste au Times, avant de devenir investisseur dans le cabinet de capital-risque Sequoia. Lorsqu'une petite entreprise technologique rencontrait des difficultés, nous savions que nous serions écoutés avec sympathie, mais aussi que nous devrions payer les pots cassés. »

Parmi ses clients, des pépites de la tech comme le réseau social Pinterest, la start-up de viande végétale Beyond Meat, le site d'e-commerce Shopify, celui de streaming Roku, l'entreprise de crypto Circle, ou encore le monde virtuel Roblox… Alors que la banque était surtout réputée en Californie, elle a également conquis les entreprises de la biotech, majoritairement implantées à Boston. Enfin, elle était partie à la conquête du monde, en s'implantant au début des années 2000 en Grande-Bretagne, puis en Allemagne, au Danemark ou en Israël.

Les dernières années ont été fastes, les levées de fonds, extraordinaires, portées par un excès de liquidité dans l'économie mondiale. En janvier, Greg Becker affichait encore son enthousiasme pour l'année 2023. […] Moins de deux mois après, le 27 février, il vendait discrètement près de 12 500 actions de sa société pour une valeur de 3,6 millions de dollars ! Un excellent timing personnel, puisque la banque n'avait plus que quelques jours à vivre…

Greg Becker n'en laissait rien paraître, mais le climat financier avait commencé à se gâter dès 2022… L'engrenage mortel était en action depuis des mois. Voici le mécanisme : à partir de 2022, sous l'effet de la remontée brutale des taux d'intérêt de la Fed (passés de 0 % à 4,75 % aujourd'hui), les valeurs de la tech ont commencé à flancher. Alors que les startuppers talentueux levaient des millions en claquant des doigts, tout devient plus lent et compliqué… Premier problème : le flux des dépôts à la Silicon Valley Bank se tarit progressivement, les entrepreneurs « tirant » sur leur compte en banque pour payer les salaires, les loyers, les dépenses courantes. Deuxième problème : la Silicon Valley Bank avait investi les dépôts dans des obligations, notamment des bons du Trésor américain. Un placement a priori prudent, de bon père de famille. Sauf que… la remontée des taux d'intérêt a pour effet, mécanique, de diminuer la valeur des obligations. La banque, acculée par les demandes de retrait des entrepreneurs de la tech, se retrouve obligée de vendre ses obligations, et elle encaisse une perte de 1,8 milliard de dollars. C'est le début de la fin…. « La hausse des taux d'intérêt a provoqué un retournement violent, explique Alexandre Baradez, responsable des analyses marchés chez IG. Il paraît logique que la tech, secteur qui a le plus profité de la baisse dans les années récentes, en paye le prix en premier. C'est l'aboutissement de nombreux excès… En l'espèce, SVB a mal géré son risque, les dirigeants ont commis l'erreur de ne pas se couvrir face au risque obligataire. » […]

Quelques mails et coups de fil ont suffi à mettre le feu aux poudres. C'est d'abord Peter Thiel, cofondateur de PayPal et investisseur star américain (il a mis des billes dans Facebook, LinkedIn et Palantir), qui, jeudi 9 mars, a décroché son téléphone pour appeler les sociétés du portefeuille de son fonds, le Founders Fund, et les inviter à retirer leur argent de la Silicon Valley Bank. Un conseil qui s'est répandu comme une traînée de poudre et est arrivé bien vite aux oreilles d'autres investisseurs, qui ont à leur tour fait de même. « Peter Thiel et quelques autres apporteurs de capitaux aux jeunes pousses de la région de San Francisco, comme Union Square Ventures, Pear VC, Hoxton Ventures et Coatue Management, ont de fait, et sans le vouloir, déclenché une hystérie collective », analyse un investisseur français. C'est aussi la première crise bancaire vécue en direct sur les réseaux sociaux. Le hashtag SVB a été partagé 200 000 fois sur Twitter le 9 mars. Les messageries professionnelles, de Slack à LinkedIn, ont aussi chauffé sur le sujet. « Slack est dangereux et incontrôlable, nous assistons au résultat : cette messagerie a contribué à l'effondrement d'une grande banque ! » affirme Kevin Drum, le tenancier du blog Calpundit. La contagion atteint ensuite Linked-In, réseau sur lequel Jim Louderback, l'auteur d'Inside the Creator Economy, dresse les conséquences d'une faillite sans sauvetage : plus de voyages, de fêtes, de cadeaux. Mais surtout, plus grave, un gel immédiat des embauches et des licenciements en masse. […]

Ashley Tyrner, fondatrice et PDG de FarmboxRx, une entreprise de Boston qui livre des produits frais, est en vacances lorsqu'elle apprend que sa banque, la Silicon Valley Bank, a de gros problèmes. Elle s'empare de son ordinateur portable pour exécuter un virement vers un autre compte. Il faut vite sortir son cash de ce piège qui est en train de se refermer ! Mais elle ne parviendra jamais à se connecter à son compte… Quant au service client de la banque de Santa Clara, il ne répond plus… […] Ils sont des milliers à avoir réagi ainsi. C'est ce qu'on appelle un « bank run » : un retrait d'argent massif de la part des clients auquel la banque n'a pas pu faire face […] Sur la seule journée de jeudi, environ 42 milliards de dollars d'ordres de retrait ont été passés. En comparaison, lors de la plus grande faillite bancaire de l'histoire récente des États-Unis, la Washington Mutual, en 2008, 16,7 milliards de dollars avaient été retirés en dix jours, une paille par rapport à la SVB. L'action chute de 60 % dans la journée. Le lendemain matin, vendredi 10 mars, la banque est déclarée insolvable. […]

Bill Ackman, le PDG du fonds d'investissement Pershing Square Capital, est devenu le porte-voix d'une Californie soudainement en proie au doute. « Si la Russie voulait détruire ou nuire matériellement à 65 000 de nos nouvelles entreprises de technologie et de biotechnologie les plus prometteuses, il n'y a pas de meilleure méthode qu'une cyberattaque qui détruise la Silicon Valley Bank et empêche la Fed de garantir les dépôts. L'ironie est que nous l'avons fait à nous-mêmes », a-t-il tweeté le 11 mars, avant de donner un ultimatum de quarante-huit heures aux pouvoirs publics pour réagir. « Le gouvernement a pour rôle de protéger les déposants, et nous devrions tous avoir cette certitude », écrit Sam Altman, le cofondateur d'OpenAI, le papa du robot conversationnel ChatGPT, le dimanche 12 mars. Habituellement prompts à prôner une liberté totale et à brocarder tout interventionnisme de l'État, les gourous de la Silicon Valley, apôtres de la prise de risque, viennent le supplier quand les choses tournent mal… Après la privatisation des profits, les magnats de la technologie n'ont pas d'états d'âme à demander la socialisation des pertes. Ce changement de posture a inspiré l'essayiste statisticien Nassim Nicholas Taleb, qui a cinglé sur Twitter, le 11 mars : « Ils sont tous libertaires jusqu'à ce qu'ils soient frappés par des taux d'intérêt plus élevés. »

Pressé par la Silicon Valley, le gouvernement n'a pas tardé à réagir pour tenter d'éteindre l'incendie. Les premières bouées de sauvetage ont été lancées par la FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation), qui a pris le contrôle de la banque. Cette agence publique garantit les dépôts bancaires faits aux États-Unis jusqu'à 250 000 dollars. Un montant toutefois bien dérisoire pour la plupart des comptes de la Silicon Valley Bank. […] Janet Yellen, secrétaire américaine au Trésor, […] annonce donc la garantie de la totalité des dépôts de la SVB. L'inquiétude est légitime, après les morts en chaîne de la californienne Silvergate le 8 mars, de SVB le lendemain, et de la new-yorkaise Signature, deux jours plus tard. D'autres sont en danger, à commencer par la First Republic Bank, une institution basée à San Francisco dont les actions ont perdu près de 70 % en une journée, ou encore Western Alliance Bank et PacWest Bancorp, qui ont respectivement dégringolé de 82 % et de 52 %.

[…] Mais si le gouvernement s'agite pour trouver une « résolution » à la crise et garantir les dépôts de ses clients, il exclut toute injection d'argent public dans cette banque pour la secourir. « Personne ne voulait un sauvetage fédéral de l'institution bancaire, comme on a pu le faire pendant la crise des subprimes, considère Alexandre Baradez, responsable des analyses marchés chez IG. La tech est un milieu de millionnaires, voire de milliardaires, parfois prétentieux, clinquants et donneurs de leçons… Sauver ces ultrariches avec de l'argent public ne serait pas passé politiquement. »

[…] Plusieurs banques, dont la SVB, avaient mené un lobbying intense pour obtenir l'assouplissement de la loi Dodd-Frank, qui était chargée de réguler les banques depuis la crise financière de 2008. Leurs efforts ont abouti, le 24 mai 2018, à la signature par le président Donald Trump d'une loi sur la croissance économique qui a mené à l'allègement des régulations. […] L'investisseur influent Bill Ackman prévient : « Nous avons besoin d'une garantie temporaire des dépôts à l'échelle du système qui restera en place jusqu'à ce que notre programme obsolète de garantie des dépôts de 250 000 dollars soit modernisé. Comme ce nouveau système ne peut pas être créé en un week-end, nous avons besoin d'une mesure provisoire pour nous permettre de passer les prochains jours et les prochaines semaines. L'alternative, c'est la faillite d'une banque après l'autre. Ce n'est pas ainsi que l'on maintient la confiance dans un système bancaire. » Jim Louderback suggère : « Chaque entreprise doit avoir six mois de trésorerie devant elle. »

En Europe, les marchés financiers ont accusé le coup lundi 13 mars, mais les experts ne semblent pas trop redouter la contagion. […] « Ces deux dernières années, l'accès à l'argent était devenu trop facile. Il n'y avait qu'à se baisser pour en trouver », expliquait il y a quatre mois au Point Benoist Grossmann, le président de France Digitale, la plus grosse association de start-up européennes, avant de poursuivre : « Cela s'est traduit par des valorisations qui dépassaient parfois 50 fois le chiffre d'affaires, ce qui est totalement disproportionné par rapport au reste de l'économie. »

2023, Le Point 2641, 69-72


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 Sujet du message: Re: Chute de la Silicon Valley Bank (mars 2023)
MessagePosté: Sam 24 Fév 2024 18:03 
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Le système bancaire européen n'est pas le même que l'américain, en Europe les banques sont plus généralistes, ce qui limite le risque mais ne l'exclut pas.

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 Sujet du message: Re: Chute de la Silicon Valley Bank (mars 2023)
MessagePosté: Jeu 29 Fév 2024 21:00 
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C'est article intéressant

Geopolis a écrit:
Séisme bancaire aux USA passé inaperçu en Europe. On relève la tentative de passer l'idée de bénéfices privés et de pertes partagées...


Vous voulez dire que lorsqu'il y a sauvetage, l'argent public aurait pu servir à renflouer les caisses de banques orientées vers une clientèle privée, dans ce cas, principalement des entrepreneurs ayant placés leurs bénéfices.
Or l'article explique aussi que le gouvernement n'est pas intervenu massivement.

https://fr.statista.com/statistiques/1375362/evolution-taux-interet-reserve-federale-etats-unis/

Un petit coup d'oeil sur la courbe, on dirait un rattrapage, dans la mesure où la FED prévoit une stagnation et un cycle de baisse, on a l'impression que le COVID représente une parenthèse financière. Le taux actuel était déjà dans la visée.

Bref, l'article incrimine la hausse du taux d'intérêt mais parle peu de l'environnement financier, je pense notamment à l'univers cryptomonnaie. Or cela ne me semble pas un hasard que la banque qui fait défaut en mars 2023 est étroitement liée à cet univers social de la tech et donc forcément de la monétisation numérique.
Rappelons, quelques mois plus tôt, la place de marché centralisé FTX est insolvable en novembre 2022, et cette violente secousse jette un froid sur la crédibilité de ce secteur. La purge a des effets positifs, j'ai souvenir avant la crise de mars 2023, d'une intense pression gouvernementale à vouloir réguler le secteur crypto. D'ailleurs il s'agit peut-être juste d'une impression mais la faillite de la SVB a marqué dans ce feuilleton un point culminant dans cet échange et à ma connaissance la fin d'une tentative d'interventionnisme frontale de l'Etat américain.
La fin d'année 2023 et ce début 2024 avec notamment l'entrée d'un mastodonte comme le fond Blackrock est différent. Je constate des articles qui notent un discours plus édulcoré de la part des institutions financières aux Etats Unis, institutions qui n'auront pas réussi à briser, ou mettre au pas, cet univers dont ils sont une partie intégrante via les nombreux acteurs économiques de la Tech. Les institutions américaines sont en train de gentiment mais sûrement s'engager dans la reconnaissance et "l'intégration" de ce secteur financier.

https://cryptoast.fr/regulation-fed-veut-accroitre-influence-controle-stablecoins/

https://cryptoast.fr/ftx-a-recupere-21-milliards-de-dollars-des-2-derniers-mois-vendant-ses-cryptomonnaies/

Petit rappel sur l'importance du phénomène :

La capitalisation boursière du bitcoin est de 1230 milliards de dollars, l'éthéreum de 416 milliards de dollars, à priori cela serait 2000 milliards de capitalisation pour les cryptos.

Pour revenir plus précisément au sujet, je crois qu'il faut plutôt regarder cette crise de mars 2023 comme un événement de l'émergence d'un nouveau modèle financier.

_________________
"Heureux soit les fêlés car ils laisseront passer la lumière"Michel Audiard


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