LTN503 a écrit:
Je suis content de voir que j'ai levé un lièvre qui intéresse quelques-uns
Eh bien je pense quant à moi que la théorie de Hanson - car ce n'est qu'une théorie - est bien construite et pertinente, même si elle est peut-être trop "occidentocentrée". En effet, d'autres cultures ont pu, à d'autres époques, rechercher la bataille décisive et s'équiper en conséquence, et ce même sans l'influence d'une armée occidentale à combattre.
Je ne vois pas trop. En Asie, par exemple, on a l'impression de corps expéditionnaires qui partent se battre sans fin pour écraser des populations plus ou moins armées. Le climat, la logistique, le temps et l'usure finissent toujours par avoir raison de ces expéditions. Mais de part et d'autre, le combat perdure tant qu'il reste un ongle pour griffer. Les indices de soumission et d'assimilation doivent être absolus et expliquent, peut-être, l'acceptation de traitements cruels. En cas d'insoumission partielles, l'ensemble de la population ciblée souffre de représailles pouvant aller jusqu'à l'anéantissement total et voulu. On pourrait avoir l'impression, vu d'Occident, qu'en dépit de la cruauté des représailles, elles ne sont pas mues par la haine mais par le souci d'une indifférente efficacité, et c'est cette indifférence même qui insupporte les Occidentaux. Hors l'Occident, quand on tue ou écrase, on tue ou écrase
une autre humanité. En Occident et depuis la Grèce antique, en dépit des propagandes diverses destinées à bestialiser l'adversaire, on tue ou écrase un frère possible, et ça s'est agravé avec le christianisme.
Même les guerres d'extermination menées en Occident ont fini par peser sur les consciences, comme les guerres de religion intra-européennes. La froideur nazie, qui en fait occultait une passion haineuse, paraît reproduire l'indifférence quasi-généralisée hors l'Occident. Mais peut-être l'indifférence orientale masque-t-elle aussi des passions haineuses (on peut penser au panarabisme ou au djihadisme modernes, aux dernières années du Japon impérial, mais aussi aux cruels Aztèques ou aux conflits entre Hutus et Tutsis).
La théorie que vous présentez a l'avantage de souligner le souci de ménager le vaincu, peut-être par compassion (inspirée par un humanisme grec ou chrétien) ou par prudence (on peut devenir le vaincu).
Les rencontres militaires se limitent aux champs de bataille et leurs règles tacites (terrain défini, traitement des prisonniers de guerre, etc.) les apparentes aux joutes sportives. Hors l'Occident, il est nécessaire de s'assurer de la mise hors combat définitive, quasi-perpétuelle, des adversaires.
LTN503 a écrit:
Et que cette recherche de décision dans le laps de temps le plus réduit, caractéristique des guerres mobiles de Napoléon Ier ou de Moltke l'ancien et plus encore du Blitzkrieg, même si elle implique un acte de violence paroxystique sur un espace réduit, peut expliquer l'insuccès généralement rencontré par les armées occidentales face à des forces au potentiel jugé nettement inférieur.
Je crois plutôt que cet insuccès repose sur un quiproquo. Quand une armée occidentale balaie ses adersaires, les décideurs occidentaux estiment que la défaite est comprise et assumée. Or elle ne l'est pas (même en Occident, comme l'attestent le banditisme basque ou les affrontements désormais terminés en Irlande du Nord). Hors Occident, les adversaires vaincus comprennent, à juste titre, la clémence des armées occidentales comme une faiblesse morale et l'exploitent comme telle. Il ne respectent pas cette clémence comme preuve de grandeur ou de noblesse. Si, du jour au lendemain, Israël ou les USA proposaient, respectivement, d'occire tout Palestinien ou Irakien ne présentant pas une absolue soumission (physique et culturelle - vestimentaire et religieuse par exemple) et qu'ils passent à l'acte, non seulement ils n'auraient plus affaire qu'à des survivants orientaux soumis et dociles, voire favorables, mais le simple passage à l'acte (hors impact désastreux sur les opinions publiques des pays massacreurs) aurait pour effet d' "apprivoiser" pour quelques décennies un grand nombre d'adversaires déclarés.
Ce qui est possible pour un Palestinien, un Irakien, un Afghan, un Pakistanais, un Chinois, à savoir glorifier et bénir le meurtre des insoumis, n'est pas accessible aux opinions publiques occidentales.
Un pays occidental ne devrait donc pas mener d'autres guerres que conventionnelles et anti-gouvernementales hors l'Occident. Il peut écraser des armées conventionnelles ennemies pour défendre son territoire, supprimer l'armée et les outils gouvernementaux d'un adversaire, mais ne peut l'occuper en raison de ce quiproquo, que la vertu consistant à épargner des vaincus en état de résister est perçue comme un vice pernicieux par lesdits vaincus.
LTN503 a écrit:
Il n'y a que lorsque ces forces, voulant la jouer "à l'occidentale", essaient de venir sur notre propre terrain qu'elles sont vulnérables. Et encore, si l'ALN algérienne a eu Souk-Ahras, il y a bien eu Dien Bien Phu...
Et la victoire japonaise sur les Russes, considérés comme "Occidentaux" dans ce cas précis, ou quelques épisodes des conquêtes coloniales.
A noter que pour certaines tribus amérindiennes d'Amérique du Nord, adoptant un certain humanisme, la mobilisation qui valut la victoire sur Cluster (un Occidental exterminateur, lui) fut abandonnée parce qu'ils considéraient que cette victoire était paroxystique et servait de leçon définitive aux "Blancs". Ces mêmes tribus avaient tendance à se combattre en suivant des règles sportives. Ce qui n'était certes pas le cas de toutes les tribus nord-américaines.
A Dien Bien Phu ou à Port-Arthur, les "Orientaux" ont justement à peu près traités les "Occidentaux" à la manière occidentale : un traité terminant le conflit et semblant ménager les vaincus. Peut-être parce qu'ils n'avaient pas de prise sur les populations civiles des vaincus et qu'ils estimaient s'en tirer à bon compte, ou que la totalité des objectifs raisonnables étaient atteints ?
A noter une évolution inverse (adaptation ?) des armées occidentales en relation avec ces guerres menées comme des joutes sportives avec leurs règles spatio-temporelles :
on n'y déclare plus les guerres depuis la Seconde Guerre mondiale.
LTN503 a écrit:
Peut-être sommes-nous en train d'assister à une évolution dans la pensée occidentale en Irak et en Afghanistan ? Pour le premier cas, l'"irakisation" de la sécurité explique sans doute beaucoup le calme relatif qui sévit aujourd'hui, d'autant plus qu'elle est renforcée par la certitude du départ des "envahisseurs" d'ici peu (2011 si j'ai bien suivi).
M'oui... En Irak, le voeu prioritaire des Arabes irakiens est que les alliés partent pour s'expliquer "une bonne fois pour toutes" sur le terrain : après comparaison des forces en présence, ils établiront un compromis initial ou se déchiquèteront comme ils ont tenté de le faire en 2006-2008 (3.000 morts par mois dans les meilleurs moments en dépit des forces alliées). A l'Orientale, quoi !