LTN503 a écrit:
Je suis content de voir que j'ai levé un lièvre qui intéresse quelques-uns
Eh bien je pense quant à moi que la théorie de Hanson - car ce n'est qu'une théorie - est bien construite et pertinente, même si elle est peut-être trop "occidentocentrée". En effet, d'autres cultures ont pu, à d'autres époques, rechercher la bataille décisive et s'équiper en conséquence, et ce même sans l'influence d'une armée occidentale à combattre.
Si j'ai bien compris, cette théorie postule que la création de troupes structurées avec un équipement standard conduit à la notion de bataille décisive. Ensuite, vous notez que cette notion a pour avantage de circonscrire la guerre à un moment précis - la bataille, et à des acteurs désignés - les guerriers, ce qui permet d'éviter l'extermination du peuple adverse.
Il me semble que cette théorie ne résiste pas à l'examen. Il y a trop d'exceptions.
1/ En occident :
Rechercher la bataille décisive n'a pas été une règle constante de l'Occident.- Georges Duby, dans son analyse de la bataille de Bouvines, montre qu'au Moyen-Age on évitait à toute force la bataille décisive. Lorqu'elle se produit à Bouvines, il y a plus d'un siècle qu'aucune bataille n'a engagé un roi de France.
Voir détails :
la bataille au Moyen-Age.Dans l'occident chrétien, les armées ne cherchaient pas la bataille. En effet, celle-ci étant considérée comme un jugement de Dieu, le perdant devenait infâme aux yeux de ses contemporains. Dieu avait désigné le vainqueur. On préférait donc la guerre, qui consistait à parcourir le territoire ennemi pour en piller les villes, occuper les châteaux, rançonner les nobles prisonniers... Les Mongols n'ont pas le monopole de la terre brûlée. Ravager le territoire de l'adversaire était parfaitement licite.
- Peu de batailles décisives, de la Renaissance au Grand Siècle : au moment de l'apparition de troupes spécialisées et soldées (les piquiers suisses, puis les tireurs équipés de mousquets) les batailles sont le plus souvent indécises : une troupe coûte trop cher pour qu'on coure le risque de sa destruction. Entreprise commerciale, un régiment ou une compagnie doit rapporter. Là encore le peuple en fait les frais. (Le souci d'épargner son prochain n'apparaît guère.) Certains entrepreneurs, comme Wallenstein pendant la guerre de Trente Ans, se font payer en domaines et accèdent au titre de prince souverain.
La guérilla est un phénomène constant dans l'histoire occidentale.Les Gallois face aux Anglais, le Grand Ferré et les paysans de la guerre de Cent Ans, les Hollandais face aux troupes de Philippe II, les Espagnols face à Napoléon, les campagnes françaises face aux Cosaques...
On peut dire que chaque fois qu'un peuple est menacé dans son existence, ou simplement dans ses valeurs, il considère que tous les moyens sont permis. Dans ce cas de figure, le monopole des armes n'appartient plus aux guerriers. Mais cette règle n'est pas propre à l'Occident : elle est universelle. Si on a vu davantage de guerres asymétriques en dehors de l'Europe, c'est tout bonnement lié au phénomène de la colonisation, puis de la décolonisation. La spécificité de l'occident n'est pas d'abord d'avoir inventé les armées structurées et les batailles décisives, mais d'avoir inventé l'Etat-Nation. Le reste en découle.(dynamisme militaire, sentiment national, lancement de la colonisation...)
L'occident ne refuse en rien la notion de guerre totale.Elle est théorisée par Klausewitz après 1815, associée à la notion de montée aux extrêmes. Les 19ème et 20ème siècles en donneront de nombreuses illustrations.
Source : Michael Howard "la guerre dans l'Histoire de l'Occident."2/ Hors de l'Occident :
Il me semble que cette théorie n'est ni plus juste, ni plus fausse, hors de l'Occident.
La notion de bataille décisive y apparaît lorsque deux Etats s'affrontent, mais pas forcément. Les généraux chinois qui affrontent les Mongols ont appris de Sun Tzu " l'art de la guerre " qui souligne aussi bien la notion de guerre indirecte (empécher l'armée ennemie d'opérer) que la notion d'attaque "du fort au faible" (la bataille idéale) On peut sans doute trouver dans l'histoire des samouraïs des exemples de batailles décisives, lorsque 2 clans vident leur querelle dans le sang.
Au total, la règle semble bien être qu'il faut une caste ou un corps de guerriers pour qu'il puisse y avoir une bataille décisive (une lapalissade, à mon avis) mais la réciproque n'est pas vraie.
Enfin, si cette théorie a pour but de démontrer une supériorité morale de l'Occident, tout au long des siècles, alors elle porte à faux. On extermine tout autant en Occident qu'ailleurs, selon les lieux et les époques. C'est davantage une préoccupation récente chez nous qu'une constante historique.
Geopolis a écrit:
La théorie que vous présentez a l'avantage de souligner le souci de ménager le vaincu, peut-être par compassion (inspirée par un humanisme grec ou chrétien) ou par prudence (on peut devenir le vaincu).
Les rencontres militaires se limitent aux champs de bataille et leurs règles tacites (terrain défini, traitement des prisonniers de guerre, etc.) les apparentes aux joutes sportives. Hors l'Occident, il est nécessaire de s'assurer de la mise hors combat définitive, quasi-perpétuelle, des adversaires.
Delenda Carthago ! est un mot d'ordre latin, dont ils me semble qu'il a beaucoup résonné partout. Certes, le souci de ménager le vaincu a été une préoccupation défendue tout au long des siècles par l'Eglise, (avec succès ou en pure perte) mais la conquête arabe, en un siècle, a obtenu un succès étonnant, qui ne s'explique que par une relative tolérance permettant de poursuivre l'expansion en recrutant parmi les populations locales. (on ne massacre pas les Infidèles, on les convertit d'office et on les entraîne dans le Jihad) La conquête du Nouveau Monde par les Chrétiens sera moins paisible.A
LTN503 a écrit:
Et que cette recherche de décision dans le laps de temps le plus réduit, caractéristique des guerres mobiles de Napoléon Ier ou de Moltke l'ancien et plus encore du Blitzkrieg, même si elle implique un acte de violence paroxystique sur un espace réduit, peut expliquer l'insuccès généralement rencontré par les armées occidentales face à des forces au potentiel jugé nettement inférieur.
Non. Pour un peuple qui joue son existence face à un adversaire mieux équipé, affronter des guerriers organisés dans une bataille rangée est suicidaire. C'est vrai des Corses face à Louis XIV comme des Zoulous face aux Britanniques. Il n'empèche que le "faible" finit toujours battu si le "fort" est prêt à tout exterminer. (il en va des Corses comme des Zoulous : ils finissent par se soumettre.)
Geopolis a écrit:
Je crois plutôt que cet insuccès repose sur un quiproquo. Quand une armée occidentale balaie ses adersaires, les décideurs occidentaux estiment que la défaite est comprise et assumée. Or elle ne l'est pas (même en Occident, comme l'attestent le banditisme basque ou les affrontements désormais terminés en Irlande du Nord). Hors Occident, les adversaires vaincus comprennent, à juste titre, la clémence des armées occidentales comme une faiblesse morale et l'exploitent comme telle. Il ne respectent pas cette clémence comme preuve de grandeur ou de noblesse. Si, du jour au lendemain, Israël ou les USA proposaient, respectivement, d'occire tout Palestinien ou Irakien ne présentant pas une absolue soumission (physique et culturelle - vestimentaire et religieuse par exemple) et qu'ils passent à l'acte, non seulement ils n'auraient plus affaire qu'à des survivants orientaux soumis et dociles, voire favorables, mais le simple passage à l'acte (hors impact désastreux sur les opinions publiques des pays massacreurs) aurait pour effet d' "apprivoiser" pour quelques décennies un grand nombre d'adversaires déclarés.
Ce que tu appelles un quiproquo, qui empècherait que des peuples primitifs puissent apprécier à sa juste valeur la grande clémence dont on fait preuve en ne les exterminant pas jusqu'aux derniers, peut se résumer plus simplement : l'Occident ne pratique plus le fascisme. Sauf en douce et pendant un certain temps, comme en Algérie ou au Vietnam, mais l'opinion finit toujours par s'en apercevoir et y met fin.
Une raison de fond à cela : l'Occident a eu l'occasion d'éprouver sur lui-même les bienfaits du fascisme, du nazisme, ou d'autres variantes, et en garde un mauvais souvenir durable et justifié. Il va sans dire que je ne considère pas cela comme une "faiblesse morale", mais comme un progrès des consciences. Je pense qu'à terme tout le monde en profitera. Appliquer la méthode nazie aux Chinois ou aux Pakistanais ne serait guère pédagogique.
D'ailleurs les Chinois, même s'ils sont encore sous la botte, savent ce que fascisme veut dire : ils ont eu quelques discussions avec les Japonais impériaux, à ce sujet. Quand on leur parle du Tibet, leurs dirigeants savent très bien ce qu'on leur reproche. Ils ne disent pas : "Et alors ? Où est le problème si on les tue ?"
S'il n'y a pas de guerre propre, au moins y a-t-il des guerres plus sales que d'autres. L'Occident s'efforce aujourd'hui de gagner ces guerres du fort au faible sans imiter les nazis. Ce n'est pas facile. Mais ça réussit si on s'en donne les moyens : les Basques et les Irlandais ont mis fin à leurs folies, les intégristes du GIA sont descendus de leurs montagnes...
Geopolis a écrit:
Ce qui est possible pour un Palestinien, un Irakien, un Afghan, un Pakistanais, un Chinois, à savoir glorifier et bénir le meurtre des insoumis, n'est pas accessible aux opinions publiques occidentales.
Je rangerais volontiers les Palestiniens parmi les peuples en danger qui ne respectent aucune règle du jeu. Et qui pourraient être écrasés et exterminés demain matin s'il n'y avait pas d'opinion publique.(dont l'opinion israélienne elle-même, qui est opposée à l'extermination systématique pour des raisons qui tiennent à une "faiblesse morale" particulière à cette nation, et qu'on appelle le souvenir de l'Holocauste.)
Je reconnais que les Irakiens et les Afghans sont volontiers taquins, mais dans l'ensemble ils sont chez eux et n'ont pas demandé que notre visite s'éternise. (A ma connaissance aucun résistant n'a glorifié et béni le meurtre des soldats allemands, mais aucun ne s'est gêné pour faire des cartons dessus)
Geopolis a écrit:
Un pays occidental ne devrait donc pas mener d'autres guerres que conventionnelles et anti-gouvernementales hors l'Occident. Il peut écraser des armées conventionnelles ennemies pour défendre son territoire, supprimer l'armée et les outils gouvernementaux d'un adversaire, mais ne peut l'occuper en raison de ce quiproquo, que la vertu consistant à épargner des vaincus en état de résister est perçue comme un vice pernicieux par lesdits vaincus.
Conclusion que je pense fausse. Ce débat est ouvert dans le topic : "l'armée du XXIème siècle." (Question : peut-on gagner en Afghanistan ?)
LTN503 a écrit:
Il n'y a que lorsque ces forces, voulant la jouer "à l'occidentale", essaient de venir sur notre propre terrain qu'elles sont vulnérables. Et encore, si l'ALN algérienne a eu Souk-Ahras, il y a bien eu Dien Bien Phu...
Qu'est-ce que c'est Souk-Ahras ? (Pour moi l'ALN a été écrasée par le plan Challe.)
Dien Bien Phu est atypique, surtout si on compare à la Corée. la guerre d'Indochine, à partir de 1950, n'est pas réellement un combat du fort au faible. La France se reconstruit, n'a pas d'allié, alors que le Viet-Minh s'appuie sur les Russes et les Chinois. (il est adossé à la frontière chinoise.) D'ailleurs aucune guérilla n'a jamais gagné sans aide extérieure.
Conclusion : mon avis est qu'il n'existe pas une "western way of war." Ou plutôt qu'on commence seulment à se poser les questions pour sortir de ce faux dilemne apparent.