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 Sujet du message: Le président portugais "O Marcelo"
MessagePosté: Ven 16 Avr 2021 21:41 
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Portrait d'un politicien atypique :
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La photo montre un vieil homme placide, en bermuda bleu ciel, chaussures de sport, masque chirurgical sur le visage. Il attend son tour devant la caisse d’un supermarché. L’image, diffusée sur Twitter, a fait le tour du monde, car le quidam est le président de la République portugaise, Marcelo Rebelo de Sousa. Il fait seul ses courses, sans garde du corps. À Cascais, ville côtière à l’ouest de Lisbonne, personne ne s’en étonne, tant on est habitué à le voir se comporter comme un citoyen ordinaire. Il habite la même modeste maison depuis 1975. Été comme hiver, à bientôt 72 ans, il commence sa journée deux ou trois fois par semaine par un bain revigorant dans le Tage voisin. Même en déplacement, ce très bon nageur cherche un endroit pour accomplir son rituel aquatique. Comme le 15 août, lorsque, en week-end dans l’Algarve, dans le sud du pays, il porte secours à deux jeunes filles dont le kayak s’est retourné en mer.

Ce libéral de centre-droit est quasiment certain d’être réélu à la présidence le 24 janvier prochain pour un second mandat : les sondages lui prédisent la victoire dès le premier tour. Il faut dire qu’il est plus que populaire : il est incroyablement proche de son peuple. Un avion qui s’écrase ? Une catastrophe ferroviaire ? La mort d’un pompier en pleine action ? Son sang ne fait qu’un tour : il saute au volant de sa petite Mercedes noire Classe A, arrive sur les lieux, compatit à la peine des parents des victimes, assiste discrètement à l’enterrement. Lorsque, pendant l’été 2017, le centre du Portugal est en flammes, il parcourt une à une les bourgades touchées et tente de consoler les villageois qui ont tout perdu. On le surnomme « O Presidente dos abraços » (le président des accolades). « Ce n’est pas une posture, il est depuis toujours sensible à la souffrance des autres », confie Leonor Beleza, directrice de la fondation médicale Champalimaud, qui le connaît depuis les bancs de l’université de Lisbonne.

Sa sympathie ne s’exprime pas que dans le malheur. Ce professeur de droit, issu d’une famille de la bourgeoisie intellectuelle de la capitale, est aussi le roi des selfies. Dans la rue, les hôpitaux, les aéroports, toutes les occasions sont bonnes. […] Être reçu par « O Marcelo » – il est le seul homme politique que les Portugais appellent par son prénom, précédé, comme à l’habitude, de l’article « le » – au palais présidentiel de Belém, près du Tage, est une expérience fascinante : on a droit à mille confidences sur ses relations avec Donald Trump, ses dilemmes de chef d’État, sa petite enfance…

En cinq ans, « O Marcelo » a transformé la fonction présidentielle. Successeur du très altier et distant Anibal Cavaco Silva, il a infusé de la chaleur, de la proximité, de l’accessibilité. « Ici, on n’échappe pas au ras-le-bol à l’égard de la classe dirigeante, analyse le professeur de sciences politiques Antonio Costa Pinto. Il a réduit le fossé qui sépare les institutions des gens. Il les a réconciliés avec le pouvoir, et ce n’est pas rien ! » […] Les caméras filment chaque jour sa silhouette élancée dans des recoins insoupçonnés du pays. Cet amoureux des foules et du contact a souffert des limitations imposées par la pandémie. Hypocondriaque notoire, il s’est confiné la mort dans l’âme. Mais, le naturel revenant au galop, il raconte avec fierté avoir appelé un à un au téléphone, au cours du printemps, chacun des 308 maires du pays pour les soutenir moralement.

[…] La Constitution portugaise, semi-présidentielle, lui octroie surtout le pouvoir de dissoudre l’Assemblée. Peu lui importe. « Il est au courant de tout, connaît tout le monde, et son influence va bien au-delà de son rôle supposé », observe Leonor Beleza. C’est lui qui a imposé au Premier ministre la déclaration de l’état d’urgence anti-Covid à la mi-mars. Lui qui, lorsqu’il a pris ses fonctions en 2016, est parvenu à réconcilier le pays, dirigé par une coalition de gauche emmenée par le socialiste Antonio Costa. Il manœuvre, amadoue, rapproche communistes et libéraux, convainc Bruxelles que l’exécutif portugais est modéré, négocie pour atténuer l’effet des faillites bancaires… […] Il a su faire d’une coquille vide, la présidence de la République, une fonction incontournable. »

Pour le comprendre, c’est lui-même qui le dit, il faut tenir compte de son double legs familial. Son père, ministre du dictateur Salazar, professeur de médecine et orateur fameux, œuvre en sous-main pour la démocratisation du régime. Sa mère, assistante sociale et catholique de gauche, déteste l’autorité et aime les plus démunis. Dès l’âge de 4 ans, Marcelo l’accompagne dans les bidonvilles de Lisbonne. Il excelle dans ses études de droit (« J’étais toujours le premier ! » assure-t-il) et fréquente les salons où s’ourdissent les complots, tout en devenant le protégé de Marcelo Caetano, l’ultime président du Conseil de l’Estado Novo. En 1975 – douze mois après la révolution des Œillets –, il est élu, à 26 ans, député à l’Assemblée constituante. « Toute sa vie, il aura été proche du pouvoir, souligne son biographe. Toute sa vie, il aura cherché à tout savoir sur tout et sur chacun, de l’info importante à la moindre rumeur de caniveau. »

À 25 ans, il intègre l’hebdomadaire Expresso, où sa plume corrosive se joue de la censure salazariste. Dès lors, il mènera trois carrières de front : l’universitaire, comme professeur à la fac de droit de Lisbonne ; la politique, qui le conduit d’une candidature malheureuse à la mairie de Lisbonne à la présidence du grand parti de centre-droit PSD – mais le poste de Premier ministre lui échappera toujours ; la médiatique, enfin, où il brille de mille feux. « O Marcelo » a pu avoir autant de vies grâce à une mémoire d’éléphant et une intelligence hors du commun. Il est par exemple capable d’écrire avec les deux mains deux textes en même temps tout en parlant au téléphone ! Sa culture générale est encyclopédique. Il dort peu, et sa « lecture photographique » lui permet d’engloutir un livre par nuit. […]

Pour les Portugais, il reste avant tout un phénomène médiatique. Après la presse écrite et la radio, il commente l’actualité à la télévision pendant deux décennies, chaque dimanche, sur la chaîne TVI. Il s’exprime sur ce que bon lui semble, recommandant des lectures. Ce catholique pratiquant se moque de tout, sauf de la religion, et n’hésite pas à noter les hommes politiques de 1 à 20, comme à l’école. […] Manipulateur roué, il est sujet à un complexe de supériorité (son ami Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, est l’un des rares qu’il estime vraiment). « Il a un côté Méphistophélès, juge Vítor Matos. Il est capable de perdre un ami pour une bonne blague ou de jouer des tours perfides qui peuvent briser une carrière. Même si beaucoup le lui ont pardonné, car il n’est pas méchant. »

La télévision est la source de son extraordinaire popularité. Les audiences qu’il drainait – jusqu’à 3,5 millions de téléspectateurs, soit un Portugais sur trois – l’ont installé chez beaucoup de ses concitoyens comme un membre de la famille. Luis Marques Mendes, comme lui ancien ministre du PSD et commentateur à la télévision, le reconnaît : « Ce qui le rendait différent, c’était sa relation affective et intime avec les gens. Il était devenu l’ami du dimanche. » Pas étonnant qu’en 2014, lorsqu’il se « sent » appelé à devenir le futur président de la République, il ne débourse que 167 000 euros et ne s’entoure que de cinq personnes pour mener campagne. Il mise sur une candidature en indépendant et décline l’appui logistique du PSD, qu’il a présidé de 1996 à 1999. Résultat : il est élu en 2016 au premier tour avec 52 % des suffrages.

[…] Au palais de Belém, on constate qu’il soigne les moindres détails de sa réputation. On ne lui connaît ni casserole judiciaire, ni accusation de népotisme, ni vie privée sulfureuse. Séparé de sa première épouse depuis 1981 mais opposé au divorce, il vit en concubinage avec l’aristocrate Rita Amaral, qui habite toujours chez elle et apparaît très rarement dans des cérémonies officielles.

2020, Le Point 2519, 40-44


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