Ce régime totalitaire ressemble de plus en plus aux États communistes avant 1989. Il en est de l'islam d’État comme du communisme d’État : il est devenu une façade imposée par des brutes, que la révolution libérale enverra valdinguer à mesure que les libertés individuelles s'affirmeront.
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Œufs géants du Nouvel An posés sur le trottoir, chandails enroulés autour des troncs d’arbre ou encore récits persans épiques peints sur les murs, le long des avenues de la capitale fleurissent chaque jour les créations modernes et éphémères de jeunes artistes iraniens. Depuis l’élection du président Hassan Rohani, en 2013, de nombreuses galeries d’art ont vu le jour dans le pays. Au cœur du musée d’Art contemporain, on a même exhumé des sous-sols une collection exceptionnelle d’œuvres occidentales ayant appartenu à l’impératrice Farah Pahlavi. Parmi la soixantaine de toiles du XXe siècle figurent des Monet, Gauguin, Warhol ou encore Pollock, qui avaient été soigneusement cachées à la révolution. En cette veille de ramadan, une nouvelle exposition est aujourd’hui inaugurée dans le centre de Téhéran. Un jeune peintre iranien y expose ses œuvres, dont l’une représente quatre nuances d’un Donald Trump pour le moins agacé. Hasard du calendrier, le président américain, pour son premier déplacement à l’étranger, en Arabie saoudite, vient de désigner l’Iran comme ennemi numéro un et a appelé à « isoler » ce pays, « principal soutien », selon lui, du « terrorisme mondial » (…)
Les regards se tournent maintenant vers l’entrée de la galerie. Deux jeunes ont pris possession du trottoir et entament, guitare à la main, les notes du tube mondial « Creep », du groupe britannique Radiohead. […] La scène a de quoi surprendre. Il est interdit de jouer de la musique en public en Iran, à moins de bénéficier d’une autorisation officielle. Or, depuis la révolution de 1979, celle-ci n’est que très rarement accordée par le gouvernement, qui plus est lorsqu’il s’agit de musique occidentale, toujours officiellement considérée comme « impure ». Elle est pourtant extrêmement prisée de la jeunesse iranienne (70 % de la population a moins de 35 ans), l’une des plus éduquées et pro-occidentales de la région, bercée depuis son plus jeune âge par les chaînes satellites. Depuis le changement de président, le ministère de la Culture et de la Guidance islamique est moins avare en autorisations de concert. (…) Les artistes investissent également les rues des grandes villes, notamment Téhéran, pour y interpréter des titres traditionnels persans, mais aussi de plus en plus de tubes plus familiers de l’Occident. La scène du jour est d’autant plus singulière que le bassiste n’est pas un homme mais une femme. Dodelinant de la tête au rythme du tube planétaire, la musicienne aux longs cheveux bruns paraît possédée. Portant une jupe noire fendue laissant entrevoir ses jambes, elle fixe son partenaire sans le quitter du regard. S’il est formellement interdit aux femmes de chanter ou de danser devant un public mixte en Iran, il reste rarissime d’apercevoir une Iranienne jouer de la musique occidentale en public. Les nombreux passants ne s’y trompent pas et, enchantés par la scène, s’arrêtent pour savourer l’instant. « C’est vraiment magnifique ! » s’enthousiasme à deux reprises un piéton, en immortalisant la scène avec son smartphone. Sans attendre, je brandis à mon tour mon portable pour capturer l’instant.
Visiblement ravi de l’attention qui lui est portée, le duo enchaîne avec un autre morceau. Postée par mes soins sur les réseaux sociaux, la vidéo provoque rapidement le buzz. En à peine quelques heures, elle a déjà été visionnée plus de 100 000 fois ! (…) […] Mais, de tous les messages que je reçois, le plus étonnant est celui d’une jeune femme de 27 ans, envoyé via Instagram. « Bonjour, je m’appelle Mahsa, la bassiste dont vous avez diffusé la vidéo. Merci de votre soutien et de votre sensibilité. » Je n’en crois pas mes yeux… La rockeuse m’a retrouvé ! Je ne peux que bénir les réseaux sociaux !
Enchanté par cette rencontre virtuelle inespérée qui, une fois n’est pas coutume, fait suite à une rencontre réelle, je décide d’engager la conversation : « Vous arrive-t-il souvent de jouer ainsi dans la rue ? » Et la jeune bassiste de me répondre instantanément : « Nous jouons chaque jour depuis maintenant un an, sauf durant le ramadan et le mois sacré de Moharram [qui commémore le martyre de Hussein, troisième imam chiite]. C’est la seule chose qui me permette de gagner ma vie. » (…) S’adonner à sa passion en public, qui plus est en République islamique, n’est pas sans risque. Un jour, une femme en tchador se poste nez à nez devant elle et lui hurle au visage : « Tu n’as pas honte ? Tu es en train de commettre un péché ! » Pour seule réponse, Mahsa, qui porte un piercing sur l’arcade droite, lui adresse un grand sourire et continue à jouer, comme si de rien n’était. Et sa pourfendeuse de s’en aller comme elle était arrivée. Une autre fois, la musicienne reçoit la visite d’agents de la paix, qui la pressent de mettre fin à son concert en plein air. Invoquant la « tranquillité des voisins », les policiers attendent tout de même que la jeune femme achève son morceau. L’histoire ne dira pas s’ils l’ont apprécié. « À n’en pas douter, la situation s’est vraiment améliorée pour les musiciens en Iran », se réjouit Mahsa, en évoquant une scène qui l’a particulièrement marquée. Un matin, un groupe d’écoliers en rang croisent son chemin et s’arrêtent devant la bassiste, captivés par son interprétation. « C’était l’extase, se souvient-elle. Un tabou est tombé. Voir des gens prendre plaisir à écouter ma musique m’apporte de la joie et une paix intérieure. » Mise en avant sur les réseaux sociaux, parfois en tant que symbole de l’amélioration de la condition des femmes en Iran, la musicienne refuse d’endosser tout rôle politique. « La musique est mon travail, et les sentiments qu’elle me procure n’ont rien à voir avec le fait d’être une femme, car je suis avant tout un être humain, peu importe mon sexe, insiste-t-elle, en me priant de ne pas instrumentaliser son histoire. Chacun doit simplement accomplir ce qu’il aime au plus profond de lui-même. »
D’autres artistes ont pourtant eu moins de chance que Mahsa. En avril 2014, sept Iraniens, dont trois femmes, font sensation en se filmant sur les toits de Téhéran, sans voile, en train de chanter et de danser sur l’air de « Happy », le tube de Pharrell Williams. Publiée sur YouTube, la vidéo est vue plus de 1 million de fois à travers la planète. « Nous voulions dire au monde entier que la capitale iranienne fourmille de jeunes pleins de vie afin de changer l’image très dure [de l’Iran] que véhiculent les médias », expliquait à l’époque, au site Iranwire Kiana, l’une des interprètes féminines de « Happy ». […] Dans la vidéo, la jeune femme avait retiré son foulard islamique, dévoilant une magnifique chevelure brune et bouclée. Pas de quoi rendre « happy » les conservateurs iraniens, effrayés à l’idée que la culture occidentale ait déjà envahi le pays ! Dès le mois suivant, ils ont arrêté les sept danseurs, qui n’ont été libérés qu’après s’être livrés à une « confession » à la télévision d’État, dans laquelle ils ont été contraints d’affirmer avoir été trompés dans cette vidéo qui n’était pas censée d’après eux être rendue publique. Désignés coupables de « diffusion illégale d’un film » et de « relations illicites », les sept jeunes ont été condamnés à des peines avec sursis (de six mois à un an de prison, ainsi qu’à 91 coups de fouet). Sur Twitter, pourtant officiellement interdit en Iran, les frondeurs ont néanmoins reçu un soutien pour le moins inattendu.
Armin Arefi, Un printemps à Téhéran, in Le Point 2422, 66-67
Le fameux clip en question :
https://www.youtube.com/watch?v=N-BC6Mkfbqo