Plutôt que de créer un nouveau fil, je mets cette transcription de l'émission
Le Dessous des cartes diffusée le 14 janvier 2023 intitulée Chine-Russie, amis pour la vie». Il reste peut-être quelques coquilles...
Mais d'abord le lien vers la vidéo sur arte.tv :
https://www.arte.tv/fr/videos/108458-015-A/le-dessous-des-cartes/LE DESSOUS DES CARTESCHINE-RUSSIE, AMIS POUR LA VIERavie de vous retrouver pour ce nouveau numéro du Dessous des cartes, on démarre cette émission avec cette photo prise le 4 février 2022 à l'ouverture des Jeux olympiques d'hiver à Pékin. Sourire chaleureux entre Vladimir Poutine et Xi Jinping. À. Quelques jours seulement de l'invasion russe de l'Ukraine, et tandis que plusieurs capitales occidentales boycottaient ces jeux chinois, invoquant les droits de l'homme et la question ouïgour, Chine, Russie unie contre l'Occident, c'est une affiche récurrente. Mais à y regarder dans le détail, quelle est la vraie nature de la relation sino-russe ?
Voisinage géographique mais nombreux conflits historiques, vision du monde identique sur des points stratégiques, autoritarisme, détestation du leadership américain, des valeurs occidentales. Sauf que derrière l'amitié, il y a aussi, vous allez le voir, des rapports de force. Bref, une relation tout en ambivalence.
On comprend mieux comme toujours avec nos cartes.
La Russie est le plus grand état du monde. 17000000 de kilomètres carrés mais elle ne compte que 145 millions d'habitants, la Chine 9,6 milluions de kilomètres carrés est moitié plus petite mais 10 fois plus peuplée . C'est aujourd'hui la 2e économie mondiale après les États-Unis alors que la Russie n'est que la 11e malgré sa taille.
Leur frontière commune, l'une des plus longues au monde, s'étend sur 4200 km à : l'ouest une quarantaine de kilomètres au carrefour du Kazakhstan, de la Mongolie et de la région chinoise du Xinjiang et à l'est de la Mongolie 4133 km jusqu'au Pacifique, de part et d'autre des rivières Argoun, Amour, Oussouri et Tumen. Mais c'était jusqu'ici une zone peu active, peu de grandes villes Khabarovsk Komsomolsk-sur-Amour et Vladivostok, côté russe, côté chinois Manzhouli, Eihe et les gros centres comme Harbin plus au sud. Peu de points frontières aussi, tout juste 23, même si en juin 2022, un premier pont routier entre les villes de Heihe et Blagovechtchensk a été inauguré.
Notons, cependant, le contraste entre les 5 districts fédéraux frontaliers en Extrême-Orient, 5,3 millions d'habitants, l'essentiel des Russes vivant à l'ouest de l'Oural et la densité des 3 provinces frontalières chinoises, 80 millions d'habitants.
Mais, au-delà de la géographie, cette relation sino-russe s'appuie aussi sur une longue histoire et c'est ce qu'on va voir maintenant.
A la fin du 17e siècle, l'empire des Qings bloque l'expansion russe en Asie. Mais, au 19e siècle, la Russie tsariste profite de la faiblesse de la Chine pour annexer des territoires au nord du fleuve Amour. Après la révolution russe de 1917, premier rapprochement : les communistes soviétiques soutiennent leurs camarades chinois et à la création de la Chine populaire en 1949 l'URSS de Khrouchtchev se voit comme sa grande sœur.
Mais dans les années 1960, Mao s'oppose politiquement à Moscou, ce qui aboutit en 1969 à la guerre sino-soviétique entre les deux puissances nucléaires. Cette rupture permet, trois ans plus tard, le rapprochement Chine-États-unis. Mais, la chute du Mur de Berlin, vue comme une victoire du modèle occidental va relancer le partenariat sino russe. En 1989, M. Gorbatchev se rend à Pékin misant sur d'évidents intérêts communs.
Moscou a beaucoup d'armes et de matières premières à vendre, surtout en Extrême-Orient : gaz, pétrole, charbon, bois, plomb, étain, argent, de quoi intéresser la Chine en plein essor économique et frappée par un embargo militaire après le massacre de Tiananmen.
Les derniers litiges frontaliers près de Khabarovsk sont rapidement résorbés et, en 1996, les deux états signent un partenariat stratégique, transformé en 2001, en Traité d'amitié et de coopération. Signe de ce pivot vers l'est russe ,les deux grands se rapprochent aussi au Conseil de sécurité de l'ONU. Membres permanent ils s'opposent à l'intervention de l'OTAN, lors de la guerre du Kosovo en 1999. Leurs objectifs «désoccidentaliser » le monde et contrer l'hégémonie américaine. L'arrivée au pouvoir de Xi Jinping, en 2012, ici, lors de son premier voyage à l'étranger, à Moscou, bien sûr, va renforcer cette entente politique. Exemple édifiant à l'ONU, entre 1946 et 2022, l'URSS, puis la Russie, a utilisé 118 fois son droit de veto, la Chine 17 fois, chacune voulant garder le contrôle sur son étranger proche : Hong Kong, Mer de Chine et Taïwan pour la Chine, Crimée ou Syrie pour la Russie. Depuis des 2007, les deux grands ont utilisé 14 fois ensemble leurs droits de veto, empêchant notamment, en février 2012, la condamnation par l'ONU de la sanglante répression en Syrie. Le partenariat est devenu une quasi alliance. Et, pourtant, lors du vote crucial de l'ONU, condamnant l'attaque de Poutine contre l'Ukraine, le 2 mars 2022, Pékin ne soutient pas Moscou, mais choisit de s'abstenir. Cela montre bien la relation complexe entre les deux pays, malgré leur point commun, héritage communiste, capitalisme d'état, autoritarisme, mais Pékin dose son soutien en fonction des rapports de force mondiaux.
Alors essayons de comprendre précisément ce que la guerre en Ukraine a changé à cette relation sino-russe.
Regardez d'abord les interdépendances : côté hydrocarbures, la Chine, premier consommateur mondial d'énergie, reste un marché vital pour la Russie, 2e exportateur mondial de gaz et 3e de pétrole. Car, avec la guerre en Ukraine, Moscou s'est aliénée ses nombreux clients européens ; côté pétrole, en 10 ans, Moscou a déjà presque doublé sa part dans le pétrole chinois, doublant l'Arabie saoudite.
Le pétrole est livré au nord-est industriel chinois ainsi qu'au Japon et à la Corée du Sud via l'oléoduc ESPO Sibérie-Pacifique, le deuxième plus long au monde, où, via un autre pipeline passant par le Kazakhstan ; côté gaz, Gazprom et la China National Petroleum Corporation ont signé, en 2014, le plus gros contrat de l'industrie gazière : 400 milliards de dollars sur 30 ans livrant du gaz via le gazoduc Force de Sibérie 1, où ceux venant de l'île de Sakhaline. Mais, depuis février 2022, pour booster ses ventes vers la Chine et l'Inde, Moscou doit se résigner à de fortes réductions de prix jusqu'à moins 20%. La Russie pousse aussi à la construction du gazoduc Force de Sibérie 2 espérant livrer d'ici 2030 à la Chine, une partie du gaz de Sibérie occidentale jusqu'ici vendue à l'Europe. Les experts estiment, cependant, qu'il faudrait investir des sommes colossales pendant au moins 10 ans pour connecter les champs sibériens à la Chine.
Côté militaire, à présent. Les relations sino-russes sont plus ambivalentes. Depuis 2005, les manœuvres communes sont régulières. Ici, en mai 2022, face au Japon et à la Corée du Sud et en septembre les manœuvres Vostok, en Sibérie. Mais, on le voit, après le boom des années 2000, la Chine a réduit ses achats d'armes russes. En effet, elle a développé ses propres armes et Moscou refusait de lui céder ses systèmes les plus sophistiqués. Des hésitations abandonnées depuis l'annexion de la Crimée, Pékin ayant déjà acheté 24 chasseurs multirôles Su 35 et des systèmes anti-aériens avancés S400.
Enfin, la Chine est devenue, ces dernières années, le premier pourvoyeur de biens de consommation, d'équipements et d'agroalimentaire en Russie, dépassant l'Allemagne. En juin 2022, une voiture sur cinq vendue en Russie était chinoise. La Chine vend aussi son expertise en surveillance, en intelligence artificielle et Huawei est en lice pour le futur marché de la 5G russe.
Enfin, côté financier, depuis la guerre en Ukraine, banques et marchés russes se détournent de l'euro et du dollar au profit du yuan.
Bref, on voit bien l'évolution croissante des échanges sino-russes, mais, si la Russie en guerre a besoin de la Chine, peut-être, ses entreprises hésitent à trop aider les entreprises russes pour ne pas subir les sanctions secondaires américaines. Car, pour la Chine, États-Unis, Japon et Union européenne restent les principaux partenaires commerciaux, loin devant la Russie, tout juste 14e. Pas étonnant, donc, que pour développer ces nouvelles routes de la soie, Pékin mise surtout sur ses projets en Asie centrale, au Caucase et en Turquie, n'investissant en Russie que si les projets sont rentables. Reste que Pékin ne veut surtout pas déstabiliser le géant russe à ses côtés, soutenant en public le régime de Poutine, du moins jusqu'à la guerre en Ukraine. Cela s'est ressenti au sein de l'OCS (l'Organisation de Coopération de Shanghai) cofondée par la Chine et la Russie. Pékin y ménageait jusqu'ici son allié, notamment vis-à-vis du Kazakhstan, pays énergétiquement et politiquement crucial, mais, la relation pourrait changer. Les années à venir montreront si Pékin profite de ce nouveau rapport de force pour s'imposer plus fortement au Conseil de sécurité au sujet de Taïwan et des mers de Chine, ainsi que dans des régions comme le Vietnam, l'Inde et sur les routes maritimes du Nord où Moscou défendait jusqu'ici jalousement ses intérêts.
Car, culturellement, il ne faut pas oublier que les deux sociétés restent très différentes voire étrangères : en Russie, le racisme anti-chinois est bien présent et même s'il n'y a pour l'instant que 2 à 300 000 travailleurs immigrés chinois en Extrême-Orient, les nationalistes russes dénoncent régulièrement une colonisation rampante voir une vassalisation politique complète de leur pays.
On l'aura compris, l'amitié sino-russe est ambivalente, à la fois fondée sur une vision du monde commune mais également fragilisée par la rivalité de deux pays voisins avec leurs logiques impériales spécifiques, la guerre en Ukraine, qui est aussi facteur de division. En effet, l'enlisement de l'armée russe amène Pékin a modéré son soutien à Moscou, avec le principe suivant : la Chine se montre solidaire de la Russie tant que cela sert ses intérêts. Enfin, Pékin sur le long terme ne déteste pas l'idée d'une Russie affaiblie et isolée par le conflit, définitivement détachée de l'Occident tournée vers un monde asiatique sur lequel l'empire du milieu régnerait son partage.
Pour aller plus loin, deux ouvrages sur la Russie l'excellent
Atlas de Delphine Papin qui dirige le service cartographie du
Monde et puis
La Chine dans le monde par là chercheuse Alice Ekman qui collabore régulièrement avec
Le Dessous des cartes.