Cette question de la confiance est importante.
Comme la plupart d'entre vous doivent le savoir, je travaille dans le nucléaire. Il fut un moment question de mettre en place une Autorité Européenne du Nucléaire. Mais, cela échoua, et je pense que les raisons de cet échec sont très éclairantes du débat actuel en ce qui concerne le Traité et les entreprises.
L'échec est né du fait que l'Allemagne et la France n'avaient pas la même vision de cette Autorité. Pour les allemands, pays fédéraliste, ce sont les régions qui contrôlent l'industrie nucléaire et qui définissent les règles. Or, une partie de l'exploitation des centrales nucléaires est aussi le fait d'entreprises dans lesquelles les régions ont des parts. Situation presque identique en France, sauf que c'est au niveau national que cela se détermine et qu'il y a un seul exploitant et qu'il appartient à 80% à l’État (presque 100% à l'époque de l'échec). Théoriquement, la situation pouvait sembler identique. Sauf que l'ASN (Autorité de Sûreté Nationale française) et EDF se sont mis d'accord sur un point suite à Tchernobyl : le nucléaire en France ne survivrait pas à un accident important. Donc, les français ont les règles les plus restrictives et on estime leur impact à environ 3% de la production annuelle des centrales. Oui, nos règles de sûreté plus restrictives font perdre à EDF 3% de sa production nucléaire.
Quand il s'est agit de mettre en place les règles pour l'autorité européenne, la question de la confiance a été au centre du sujet. Il fallait que les habitants de l'Europe aient confiance dans cette nouvelle entité dont le travail devait garantir qu'il n'y aurait pas d'accident de grande ampleur en Europe. Les Allemands n'avaient confiance que dans leur système : c'étaient les autorités locales, les plus concernées par une éventuelle catastrophe qui devaient définir le niveau de sûreté. Les Français rétorquaient qu'un accident nucléaire avait des conséquences au niveau supranational et qu'il était difficile d'en gérer les conséquences au niveau local. De plus, il y avait un grand risque de collusion au niveau local quand on sait que le prix de l'énergie conditionne la bonne santé de tous les secteurs industriels ...
En plus, il y avait un problème de fierté nationale. Les français refusaient de diminuer leur niveau de sûreté. Ce qui aurait obligé les autres pays à s'aligner sur le niveau français ... et à reconnaitre qu'ils ne sécurisaient pas leurs concitoyens aussi bien que ces français qu'on accusait de prendre des risques en ce qui concerne la sûreté nucléaire. L'Allemagne, pays où il y a de nombreux articles qui dénoncent les risques liés aux centrales nucléaires françaises et où à lire ces articles on a l'impression que le plus grand danger est justement que ces centrales sont françaises .... et on connait bien les français, n'est-ce pas : râleurs et ne sachant pas appliquer les lois et les règles ... aurait du expliquer à ses concitoyens qu'en fait les règles françaises allaient obliger les centrales nucléaires allemandes à faire un gros effort de remise à niveau en ce qui concerne la sûreté ... Or, les allemands n'avaient pas confiance dans les français en ce qui concerne le nucléaire ... Bref, de réunions en discussions, les pourparlers montrèrent que l'accord serait difficile à obtenir. Par chance, pour les dirigeants allemands, il y eût Fukushima, l'opinion publique allemande bascula fortement dans l'opposition pure et simple au nucléaire et l'Allemagne opta pour la fermeture programmée de ses centrales : il n'y avait donc plus besoin d'une Autorité Européenne pour contrôler qu'un secteur promis à disparition respectait bien les règles de sûreté. Et cela régla la question.
Dans de nombreux secteurs, les habitants demandent que les autorités contrôlent mieux l'application des règles de sécurité. Or, cela ne peut se faire que par la multiplication des contrôles. Le rapport de la section régionale de l'ASN est sorti dernièrement. Celle-ci à procédé en 2015 à 24 contrôles sur le site de Fessenheim (2 réacteurs de 900 MW de puissance) et 25 sur le site de Cattenom (4 réacteurs de 1300 MW). Lors des articles qui ont fait suite à l’explosion d'AZF on apprenait que la plupart des entreprises chimiques étaient visités, comme la plupart des sites industriels, en moyenne une fois tous les 3 ans... Si l'on désirait réaliser des contrôles équivalents à celui du nucléaire, il faudrait enrôler et former des armées de contrôleurs. Et cela coûterait très cher. Pour le nucléaire, c'est simple, c'est l'exploitant qui paye. Donc, EDF paye une taxe pour assurer le financement de l'organisme qui contrôle qu'il respecte bien les règles fixées en concertation avec ce même organisme. La plupart des industriels ont fait comprendre que vu la situation actuelle, si leurs charges devaient augmenter, ils iraient s'installer ailleurs... On a donc un système totalement différent. Il y a des accords entre les autorités chargées de contrôler et les industriels concernés. Les industriels s’engagent à respecter la réglementation et à mettre en place un service chargé de contrôler qu'ils respectent bien la réglementation. Ce service est audité par un organisme agréé régulièrement (légalement 3 ans entre 2 audits). En cas d'accidents, l'industriel se retrouvera poursuivi au pénal et au civil et la facture sera très lourde. Globalement, le système marche assez bien car il n'y a pas d'explosions récurrentes d'usines. Mais, quelques cas viennent saper la confiance que les gens font aux industriels.
En fait, pour restaurer durablement la confiance, il faudrait que les entreprises comprennent qu'il serait dans leurs intérêts qu'aucun accident n'arrivent et qu'ils se chargent eux-mêmes de faire la police. Cela fonctionne dans bien des secteurs où les commerçants et les industriels ont mis en place des ententes dont le but est de surveiller le respect d'un cahier des charges minimaux et des poursuites dans le cas où ce n’est pas respecté. Avec possibilité de saisir la justice dans les cas extrêmes. Les divers ordres de médecins, avocats, huissiers font partie de ces organismes dont le rôle est de faire en sorte que l'on limite les recours à la justice. Mais, dans tous les cas, la justice reste prépondérante et elle peut décider de se saisir d'un cas, même si l'organisme a tranché qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre.
_________________ Une théorie n'est scientifique que si elle est réfutable
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