Artigas a écrit:
Je ne suis pas du tout d'accord avec vos propos Geopolis. Le soulèvement du peuple syrien dès mars-avril 2011 était spontané contre le régime de Bachar al-Assad et la guerre civile syrienne n'est pas une guerre entre sunnites ultra-réactionnaires ou ultra-extrémistes.
L'ensemble des populations d'Orient sont réactionnaires ou ultra-réactionnaires. Elles assument et imposent souvent par la violence légale ou populaire l'ensemble des valeurs qui caractérisent, chez nous, l'extrême droite : préférences généalogiques, ce qui est un racisme au sens premier puisque race signifie avant tout le lignage, clanisme, tribalisme, ethnicisme, nationalisme, sectarisme et fanatisme partisans et religieux, phallocratie, homophobie et jusqu'à l'esclavagisme.
Ensuite, le soulèvement était spontané dans la suite de la révolte tunisienne. Ce sont des adolescents des tribus sunnites réprimées en 1982 par le régime qui ont manifesté, et tendrement ou pacifiquement, si j'ose dire. Le régime a fait disparaître ces adolescents, avant qu'un dignitaire de la famille d'Assad insulte leurs familles, ce qui a déclenché la révolte armée. La molle répression (comparée à celle de 1982) a permis aux autres oppositions du pays, d'abord les tribus sunnites, puis des individus non sunnites, de conjuguer leurs manifestations (politiques ou armées) au régime. La révolte s'est généralisée à l'ensemble des Arabes sunnites syriens avec l'escalade de la répression.
Artigas a écrit:
Les rebelles syriens et l'ASL n'ont rien à voir avec les barbares de DAESH.
Ils partagent les valeurs d'extrême droite citées plus haut. Ce qui les différencie est l'outrance nihiliste et pathologique des djihadistes internationaux, autrement dit pour un Français, la différence entre la droite ultra-réactionnaire et la droite totalitaire.
Artigas a écrit:
Le peuple syrien a été abandonné à son sort dès le soulèvement de mars 2011 par la communauté internationale.
Comme les Irakiens en 1991, comme les Algériens en 1990, comme les Yéménites en 1994. Comme les Rwandais et les Burundais en 1994.
Artigas a écrit:
C'est dès cette période qu'il aurait fallu agir pour mettre fin à cette tragédie.
Pour rappel, les participations internationales ont donné l'Irak en 2003 et la Libye en 2011, dont les effets sont vivement critiqués. C'est ce que j'écris : les Occidentaux sont coupables d'intervenir et coupables de ne pas intervenir ; ils s'accusent et sont accusés dans tous les cas de figure, car ce qui est important n'est pas qu'ils interviennent (aux yeux de leurs alliés) ou qu'ils n'interviennent pas (aux yeux des vaincus), mais d'accabler l'Occident sans jamais, jamais regarder qui tire et massacre : des populations du Tiers Monde. C'est comme l'Algérie en 1962 : ce n'est pas le FLN qui pratique un politicide à caractère génocidaire, c'est la France qui est coupable de laisser faire.
Artigas a écrit:
Aujourd'hui il y'a trop d'acteurs externes qui entrent en jeu et aggravent le conflit.
À part l'Occident, ils étaient tous présents depuis 1990 : toute l'extrême droite et les États ultra-réactionnaires sunnites derrière les officines et les clans sunnites de Syrie, l'Iran et le Hezbollah derrière le régime syrien, les Kurdes et la Russie.
Artigas a écrit:
Le fait de parquer et de séparer les communautés n'est pas vraiment réaliste,
C'est pourtant ainsi que l'Europe occidentale a trouvé la paix, les Hollandais chez eux, les Belges chez eux, les Suisses chez eux, etc. Les séparatismes régionaux ne feront que conclure ces conflits d'indépendance en douceur (Catalogne, Écosse...).
Artigas a écrit:
l'opposition syrienne écrasée par Bachar et Daesh était prête à mettre en place une Syrie démocratique et multi-religieuse. Mais elle a été complètement marginalisée par la communauté internationale.
Non, elle a été mise en exergue par les gouvernements et les grandes voix médiatiques d'Occident parce qu'il s'agissait d'une ultra-minorité politique syrienne libérale et progressiste, mais c'est en Syrie qu'elle était marginale. Les libéraux syriens ont été happés par les extrémistes (rebelles ou gouvernementaux) comme les Bolcheviques ont happés les socialistes russes, par la violence et des éliminations opportunes, et ils ne l'ont pas tant été comme libéraux marginaux que parce qu'ils incarnaient les préférences des Occidentaux, des gens comme vous et moi, dont les valeurs sont des repoussoirs en Syrie.
Artigas a écrit:
Vous affirmer que Bachar aurait dû réagir comme son père face à la révolte de son peuple, ce qui est fort de café et constitue un point de vue extrémiste.
Le régime syrien est extrémiste.
Artigas a écrit:
Massacrer des civils comme à Hama en somme.
Hafez el-Assad a pratiqué un politicide qui frôle le génocide. Personne n'a levé la voix contre lui car il était hypocritement représenté à l'internationale (sic) par ses alliés socialisants comme un despote éclairé, progressiste et socialiste. Castro et el-Assad, Mengistu et la junte argentine pouvaient chacun liquider plus que Pinochet, ils avaient au moins le bon goût de s'aligner sur l'URSS et de faire taire les médias et les universitaires complaisants d'Occident.
À l'époque, leurs prétendues causes politiques excusaient leurs crimes.
Artigas a écrit:
Or c'est tout un peuple qui s'est soulevé contre Bachar.
C'est ce qui serait arrivé à Hafez el-Assad s'il n'avait pas exterminé tous les habitants d'un quartier de Hama.
Pendant trois semaines, je crois me souvenir, toute la Syrie a retenu son souffle pour constater la réaction du régime. L'horreur escomptée n'étant pas survenue, la révolte s'est étendue en une semaine à l'ensemble du pays.
Artigas a écrit:
Sinon, en effet, les armées syriennes et iraniennes sont impotentes et seule une coalition militaire au sol pourrait mettre fin à la tragédie syrienne.
Ce n'est pas facile pour ces armées, qui combattent à l'étranger, sur des terres aux populations hostiles. Les Iraniens ne sont même pas arabes, mais même les Libanais, qui le sont, coalisent par leur seule présence les Syriens sunnites contre les minorités non sunnites. Ils parlent, comme la France en 1793, de "parti de l'étranger". Toute révolution est nationaliste.
Si les Occidentaux voulaient intervenir en libérateurs pour la majorité des Syriens, ils devraient appuyer les factions sunnites ultra-réactionnaires et les aider à écraser les minorités non sunnites en Syrie, mais ce serait nourrir un totalitarisme qui nous est politiquement ennemi.
Artigas a écrit:
Enfin pourquoi écrivez-vous qu'il faut sanctionner durement toute agression contre l'Occident?
Si un gouvernement ne protège pas son État, il n'a pas lieu d'exister. Que me vaudrait d'être occidental, sinon ? Je me rendrais au plus offrant en matière de protection.
Artigas a écrit:
Vous avez une vision géopolitique, navré, dépassée des rapports de force au Moyen-Orient.
Je propose des visions alternatives en contrepoints à des analyses qui me paraissent angélistes et simplificatrices, consistant à prendre les Syriens pour des Français avec des passeports syriens. J'utilise pour cela mes connaissances historiques, notamment une longue liste d'événements récurrents tantôt propres à certaines régions du monde, tantôt communs à l'ensemble de l'humanité.
Artigas a écrit:
La Syrie est aujourd'hui un pays en ruines et fortement fragmenté. Bachar aurait dû écouter son peuple dès le soulèvement de mars 2011.
1) Oui, et en même temps, son peuple voulait renverser le pouvoir des alaouites et aurait probablement, comme en Irak, puni les minorités ayant collaboré avec les alaouites pour réduire les sunnites au silence politique. C'est d'ailleurs en quoi les massacres des minorités religieuses consistent actuellement : c'est une épuration à la fois religieuse et politique.
Les minorités syriennes qui massacrent des sunnites jouent leur va-tout ; comme les Israéliens, elles pensent que si elles perdent la guerre, elles seront éradiquées d'Orient ; qu'en somme "elles gagneront toutes les guerres, sauf la dernière", parce qu'après la dernière elles n'existeront plus pour en mener d'autres.
2) Je reviens plus bas sur le concept de "peuple syrien" ou "peuple d'Assad".
Artigas a écrit:
Mais là, je suis sans doute trop candide.
Il y a encore un principe qui nous est devenu étranger après la Première Guerre mondiale : le jugement de Dieu. Dieu doit décider par les armes le vainqueur. Le vaincu, qu'il ait joué son va-tout dans une guerre réelle ou dans une guerre réglée, doit se résigner au vainqueur par les armes. En 1982, à Hama, Hafez el-Assad a résigné la majorité des Syriens sunnites par une sorte de jugement de Dieu : ses ennemis révoltés n'existaient plus ; c'était un avertissement aux prétendants à la révolte suivants, et il n'y en eut aucun autre. Le problème des Israéliens de 1948 à aujourd'hui est qu'ils n'ont jamais joué leur va-tout : les valeurs libérales et pacifistes les empêchent d'aller "jusqu'au bout" dans leur victoire. Du coup, leurs ennemis palestiniens les prennent pour des mous irrésolus et se soulèvent de manière récurrente pour contester le sort des armes. C'est pareil pour les Occidentaux en Afghanistan et en Irak.
Les armées orientales ou occidentales du XIXe siècle, avec des moyens et des effectifs bien moindres, avaient moins de problèmes politiques pour imposer ce sort des armes, parce que les populations qui s'y opposaient savaient qu'elles iraient "jusqu'au bout".
Le régime syrien et les djihadistes sunnites sont prêts à aller jusqu'au bout, c'est ce qui les rend politiquement efficaces en Orient. Les Occidentaux sont complètement déconsidérés dans cette dimension politique. Les Iraniens et les Russes ne jouent pas leur va-tout car, au fond, ils s'en fichent un peu, leur existence n'est pas remise en cause par une défaite. L'existence des Arabes sunnites syriens non plus, d'ailleurs : s'ils perdent, ils retournent dans la servitude des minorités syriennes... jusqu'au prochain conflit d'indépendance. Ils ont le temps de gagner, car ils sont démographiquement majoritaires. Ils survivront jusqu'à ce qu'ils gagnent, la seule question étant de savoir si, à la fin, ils éradiquent totalement les minorités qui les ont humiliés et asservis ou s'ils en conservent un peu sur les côtes, comme larbins et faire-valoir.
Les djihadistes doivent gagner pour ne pas à avoir à sortir du pays, où le reste du monde les attend, et le régime doit gagner pour que les tribus religieusement minoritaires puissent avoir encore la possibilité de respirer l'air syrien dans quelques décennies.
Disons que la victoire des rebelles sunnites sur les minorités religieuses en Syrie, si elle a lieu, devrait être définitive et pérenne.
Artigas a écrit:
Au lieu de cela, il a libéré des milliers d'islamistes et bombarde son propre peuple, dans des zones non tenues par Daech.
1) La libération des djihadistes sunnites était politiquement très astucieuse. Rappelons encore que la Syrie accueillait de nombreux djihadistes qui conduisaient la guerre contre le gouvernement irakien, les chiites irakiens et la coalition internationale. Tous ces djihadistes ont écrasé les structures politiques tribales traditionnelles et relaient les aspirations des rebelles sunnites syriens et irakiens. Leur nihilisme doit condamner à terme la révolte sunnite parce qu'elle est politiquement, socialement et économiquement destructive sur le terrain et inacceptable à l'étranger. Les révolutionnaires sont souvent débordés par leurs extrêmes. Les Syriens l'ont été. Ça s'est passé en quelques semaines : ils ont accepté, en connaissance de cause, ces alliés ; ils ont perdu l'appui occidental ; les djihadistes les ont politiquement subvertis et anéantis. Si les rebelles syriens avaient été malins, ils auraient exterminé à vue tous les djihadistes qui se présentaient à eux, et ils l'auraient fait savoir. Mais ils se sont crus fins en acceptant la collaboration d'Al-Qaeda. Les djihadistes sunnites internationaux perdent toutes les causes qu'ils soutiennent.
2) Assad ne bombarde pas "son" peuple. Son peuple, ce sont les alaouites et les minorités syriennes qui se resserrent autour du régime pour ne pas être exterminées. Assad bombarde un peuple ennemi, des Syriens sunnites qui conduisent une guerre d'indépendance contre lui, comme les Hollandais ou les Italiens en menaient, quelques siècles plus tôt, contre les Espagnols et les Français. Il y a au moins trois peuples syriens.
Artigas a écrit:
La Syrie est une victime malheureusement d'intérêts qui la dépasse: de l'Arabie-Saoudite wahhabite, de la Turquie, de l'Iran, de la Russie aujourd'hui.
Le régime syrien a, durant la guerre froide, mené plusieurs guerres contre Israël, attaqué la Jordanie (1970), aggravé la seconde guerre civile libanaise et utilisé les Palestiniens et le Hezbollah contre Israël pour imposer ou tenter d'imposer un protectorat sur ces anciennes provinces historiques que sont le Levant et la Palestine. Il a accueilli et protégé les djihadistes sunnites irakiens à partir de 2006. La Syrie n'est pas seulement un important lieu de pouvoir et de décisions du Moyen Orient, les Assad ont habilement louvoyé auprès des grandes puissances internationales, notamment l'URSS devenue Russie, mais également l'Occident en 1991 (contre l'Irak) pour conduire sa propre expansion géopolitique à ses frontières.
Je pense que la moitié des Libanais et des Irakiens, considérant la guerre civile syrienne, doivent se dire : "chacun son tour"...
La Syrie n'est la victime malheureuse que de l'extrémisme et de la courte vue de son régime comme de ses rebelles.
Artigas a écrit:
Maintenant, la véritable question est de savoir quand le cauchemar syrien va t-il se finir pour le peuple syrien?
Avec une à plusieurs centaines de milliers de morts supplémentaires.
On peut d'ailleurs mesurer à l'aune syrienne l'intérêt de l'intervention américaine en Irak. De 1991 à 2003, Hussein tue plus d'un million de chiites irakiens ; la guerre civile irakienne tue peut-être 300.000 ou 400.000 personnes en 8 ans (2003-2011). La Syrie, c'est 240.000 morts en 4 ans... Pareil pour l'Afghanistan avec les talibans avant et après 2001, le nombre de morts y diminuant drastiquement après le départ des Soviétiques et après la chute des talibans.
Artigas a écrit:
Et comment les différentes communautés vont-elles vivre sur le sol syrien après la fin de cette effroyable guerre civile?
Les minorités non sunnites vont probablement tenir leurs réduits près de la côté. Elles finiront pas s'appuyer sur les non-sunnites du Liban. Si elles sont astucieuses, elles s'appuieront sur Israël ; probablement jamais sur la Turquie, en mémoire d'Erdogan et des génocides turcs qui les ont durement touchées en 1915.
Les Kurdes tenteront de renforcer leur autonomie, en vue de la constitution d'un État indépendant.
Les Arabes sunnites devraient parvenir à former un État indépendant, avec le soutien des pétromonarchies, et revendiqueront les terres non sunnites et kurdes de Syrie, ainsi que l'Irak.
Artigas a écrit:
Que va faire aujourd'hui l'Occident pour le peuple syrien?
Il veut aider les non sunnites mais il décrie leur protecteur Assad.
Il veut complaire aux sunnites mais refuse d'aider les djihadistes internationaux.
Ses quelques alliés syriens progressistes sont éliminés par le régime et les djihadistes. Il devrait les accueillir pour sauver leurs vies et leurs valeurs.
Ce qu'il va faire ? Il va continuer de se fâcher avec l'Arabie saoudite au sujet de l'extrémisme sunnite, il se fera manipuler par quelques factions de la guerre civile, il est probable qu'il ne soutiendra jamais assez les Kurdes pour les beaux yeux de l'hypocrite Erdogan, qui sert la soupe aux djihadistes d'Al-Qaeda et à l'extrémisme sunnite. L'Europe accueillera des réfugiés mais jamais assez pour que les Orientaux lui en soient reconnaissants. Orientaux et Occidentaux continueront de s'accorder sur son unique culpabilité dans la guerre civile syrienne, ce qui dédouanera les Syriens de considérer leur seules, principales et essentielles responsabilités.
Artigas a écrit:
Car apaisé la Syrien c'est réglé une partie des graves problèmes qui touchent aujourd'hui le Moyen-Orient.
L'Orient n'a qu'un seul problème, c'est la lutte du conservatisme musulman et des valeurs tribales bédouines qu'il entretient contre la révolution libérale, qui a maté bien d'autres réactions autrement plus puissantes.
Artigas a écrit:
Et l'Occident a un rôle positif a joué plus que jamais sans tomber dans la complaisance envers certains régimes.
L'Occident ne voit pas plus loin que l'Arabie saoudite, et même s'il le tente, Erdogan bouche le dernier angle libre.