Geopolis a écrit:
Les talibans agissent de même en Afghanistan. La clé des tribus est leurs patriarches, qui peuvent concurrencer les djihadistes en négociant des compromis pour éviter la guerre. Les djihadistes les assassinent pour désorganiser les tribus et en récolter les survivants mécontents. Sans base tribale, les sunnites n'ont aucune raison de se ranger comme des soldats loyaux derrière leurs suzerainetés patriarcales. Je pense que cette anarchie sociale et politique accélère la décomposition du sunnisme, qui devrait finir par avoir le choix entre le nihilisme djihadiste sunnite et l'individualisme libéral, à la fin de quoi le libéralisme finira par effacer un totalitarisme sunnite auto-destructeur.
Je suis assez d'accord avec vous. Je remarquerai deux choses:
-Le projet sunnite des djihadistes combatants en Syrie (Daesh, mais aussi Nosrat, Front Islamique) est un projet "moderne", international soit frères musulmans soit salafiste. Il est indifférent aux réalités locales, aux traditions, il n'est pas contre-révolutionnaire, il est d'essence révolutionnaire, il s'agit d'un projet de société totalitaire (je ne suis pas sûr que le mot nihilisme soit vraiment approprié).
-Que représentent aujourd'hui les tribus en Syrie? Je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'un acteur si central, on parle de 15% de la population qui dépend encore du lien tribal, vous avez peut-être d'autres chiffres mais l'urbanisation des Bédouins a diminué notablement l'importance des liens tribaux. Hafez a cependant freiné le mouvement anti-tribus qui avait été un des fer de lance des gouvernements nationalistes depuis 1950, les sheikhs sont devenus les clients de l'Etat et un moyen de contrebalancer l'influence des Frères et de contrer les Kurdes. Mais je ne suis pas convaincu qu'en Syrie l'influence tribale soit encore si vive, de toute manière les tribus sont très divisées et même en leur sein sur la position à adopter.
Geopolis a écrit:
Les zones tenues par les rebelles sont obstinément celles majoritairement peuplées par des Syriens arabes sunnites.
A vrai dire les Sunnites restent majoritairement dans des zones toujours tenues par l'armée, Lattaquié par exemple a vu sa population doubler depuis le début de la guerre, essentiellement des Sunnites.
Geopolis a écrit:
Ce n'est pas tant qu'ils défendent des territoires où la démographie les avantage, tout comme elle avantage les non sunnites et les Kurdes chez eux, mais ils revendiquent également un pouvoir politique, avec tous les privilèges socio-économiques attenants, et un honneur de communautés bafouées depuis plusieurs générations, dominées par des communautés minoritaires et, qui plus est, à domicile... La Syrie arabe sunnite est comme la "colonie" des Syriens non sunnites. C'est une guerre d'indépendance territoriale, politique et sociale, doublée chez certains rebelles syriens d'une guerre de conquête des territoires et tribus kurdes et non sunnites. Ce sont presque les non sunnites qui se retrouvent en lutte pour leur indépendance, sans parler évidemment des Kurdes syriens qui luttent pour leur indépendance contre les Arabes syriens, sunnites ou non, ainsi que contre les Turcs voisins.
Les Sunnites ont bien sûr des droits politiques en Syrie, le processus qui a amené les Alaouites au pouvoir est simple: cette minorité plutôt pauvre s'est élevé par le mérite dans une armée désertée par la bourgeoisie sunnite, la famille d'Hafez n'avait pas l'argent pour offrir à un fils intelligent l'université, il est entré dans l'armée de l'Air qui lui a payé ses études. Ils ont commencé à devenir nombreux parmi les officiers et l'un d'entre eux a pris le pouvoir: Hafez. Ce dernier est un officier ambitieux et aussi Alaouite, il s'appuie sur des Alaouites mais Tlass son principal compagnon d'arme est un sunnite. Quand Hafez se débarrasse de Salah Jedid, proche de l'URSS, il met de côté des Alaouites comme Makhus...
Le pouvoir syrien n'est donc pas si simple qu'une clique alaouite au service de Moscou. Nous avons aujourd'hui des groupes maximalistes sunnites (qui ne représente pas l’entièreté des membres de cette confession, sans doute même loin de la majorité) qui s’oppose à un gouvernement qui représente des minorités, mais aussi la majorité sunnite ou sinon, il lui aurait été impossible de se maintenir dans ces villes très largement sunnites que sont Alep ou Damas. Les Sunnites n'ont jamais vu leur pouvoir socio-économique fondamentalement remit en cause par le pouvoir syrien "alaouite", l'épouse d'Assad est un bon exemple des liens créés avec la bourgeoisie sunnite.
Geopolis a écrit:
Comme je l'ai écrit dans mon précédent message, le régime syrien est extrémiste ; politiquement extrémiste, sur le modèle soviétique qui l'a inspiré, pas religieusement extrémiste.
Les mots doivent tout de même garder un sens. Vous parlez d'inspiration soviétique, elle me parait assez maigre, un parti communiste toléré à côté du Baath. C'est un régime autoritaire comme il y en a eu tant dans le tiers-monde, sponsorisés par l'ouest ou par l'est, un régime plutôt nationaliste. Je ne vois vraiment pas en quoi il est politiquement extrêmiste, le régime soviétique était extrêmiste avec un projet de société pré-défini. En Syrie, si on a appliqué une planification inspirée du socialisme, si il y a dans le chef du Baath, une volonté de progressisme "révolutionnaire", ce n'est pas non plus la table rase. Hafez et son fils sont plus des opportunistes que des extrémistes. Hafez comme Saddam ont commencé leurs carrières respectives en se débarrassant d'alliés sincères de Moscou.
Geopolis a écrit:
Qui plus est, l'Occident a contribué à l'armement des rebelles. Cela dit, armer une rébellion ennemie contre un régime ennemi au point de permettre un équilibre pour que les belligérants s'entre-massacrent efficacement et longtemps peut arranger l'Occident. Je doute que les gouvernements occidentaux aient poussé jusque-là leur intelligence cynique et leur perspicacité machiavélique.
Je prendrais trois images vues dans des reportages ces derniers temps:
-Le premier est un micro-trottoir déjà ancien d'une journaliste de la BBC à Damas (2012?), elle interviewait des jeunes
en train de manger dans la rue, des étudiants et leur demandait pourquoi ils soutenaient Bachar. Regards un peu surpris, la réponse fuse, vous pensez que nous pourrions faire cela si les rebelles gagnaient (nous étions en plein ramadan)?
-Ensuite cette interview récente d'un réfugié syrien quelque part dans les Balkans, sa mise un peu "hipster" et son smartphone dernier cri ont attiré l'attention du reporter. Qui est-il, simplement un jeune Syrien de la classe moyenne supérieure qui veut terminer ses études en Europe avec des amis, impossible d'avoir un visa pour l'UE, alors il a payé pour entrer illégalement...
-Images d'un marché de Lattaquié filmées par une chaine anglaise: moins de femmes voilées que sur le marché de la gare du Midi un dimanche matin à Bruxelles.
En Syrie je ne suis pas sûr qu'actuellement on défende les gens qui ont envie de vivre comme nous.
Geopolis a écrit:
Erdogan est acoquiné aux Frères musulmans et, par eux, à Al-Qaeda, ce qui en fait un ennemi objectif du reste du monde.
Et la Qatar et l'Arabie Saoudite? Acoquinés à qui? Les Frères sont grosso-modo devenu une organisation qatarie, Al-Qaeda ce n'est pas la même chose mais c'est dans le golfe que l'organisation trouve de quoi se financer. J'entendais Jack Lang parler de l'influence de la France sur l'Arabie Saoudite au travers des programmes culturels, de jeunes artistes retournaient chez eux et n'étaient bien sûr plus les mêmes, pourtant la Syrie sous influence "soviétique" est plus proche de nous culturellement que ces pays du Golfe avec lesquels nous avons les meilleures relations depuis des décennies. Des pays comme la Turquie, grisés de leur puissance d'être nos alliés, grisés en fait par ce sentiment d'impunité que nous leur procurons, entretiennent le chaos chez leurs voisins et nous crache littéralement à la figure (Erdogan a eu 1 heure et quart de retard au repas préparé en sa faveur par le roi des Belges à Laeken, du jamais-vu...).
Nous avons créé des Etats gâtés, sociopathes et j'ai bien peur que ce qui continuera à en sortir s'éloignera de plus en plus de votre idée du "libéralisme".