En France et aux Etats-Unis, l'endettement des entreprises atteint des records. La situation était déjà préoccupante avant le début de la récession mondiale.
Citation:
La dette des entreprises françaises atteint des niveaux record
Par Guillaume Benoit
Publié le 14 mars 2019
C'est une exception en Europe. Alors que sur le reste du continent, les entreprises ont eu tendance à réduire leur endettement, celui des sociétés françaises a explosé. Selon les chiffres de S&P Global Ratings, la dette brute totale des entreprises françaises dépassait 4.000 milliards d'euros à la mi-2018. Elle atteint 175 % du produit intérieur brut, contre 135 % il y a 10 ans, lorsqu'a éclaté la crise financière. Un niveau d'endettement qui préoccupe aussi la Banque de France, qui avertissait en décembre, de risques de liquidité et de défaut pouvant s'accroître au cours des prochains mois.
Cette fringale de dette s'explique en grande partie par les coûts de financement très bas. « Le taux d'intérêt moyen des prêts accordés aux sociétés non financières s'est élevé à 1,56 % en 2018, son plus bas historique », notent les analystes de S&P. Autre moteur de l'endettement : les opérations de fusions-acquisitions stratégiques. Air Liquide a doublé sa dette en 2017 pour racheter son concurrent américain Airgas. Et Sanofi a vu son endettement grimper à 25 milliards d'euros en 2018, après avoir réalisé 13 milliards d'euros d'acquisition.
Depuis, le mouvement ne s'est pas inversé. Les conditions de marché très favorables en début d'année ont notamment poussé les entreprises à se ruer sur le marché obligataire. Et la course à l'endettement devrait se poursuivre, alors que les dernières décisions de la Banque centrale européenne devraient limiter à moyen terme tout risque de hausse des coûts d'emprunts tant pour les crédits bancaires que pour les financements de marchés.
Si toutes les catégories d'entreprises ont participé au mouvement, « l'augmentation de leur endettement est principalement le fait des multinationales françaises et des sociétés publiques » souligne S&P.
EDF a ainsi vu passer sa dette de 28 à 63 milliards d'euros entre 2007 et 2017. Et SNCF Réseau de 28 milliards à plus de 55 milliards. Les secteurs du luxe et de la consommation, de l'automobile ou de l'immobilier, notamment, ont également connu une forte hausse de leur dette. LVMH, qui vient de lever 1 milliard d'euros sur le marché obligataire, affichait ainsi en 2017 une dette de 12 milliards d'euros, le double de son niveau en 2007. Celle de Renault est passée de 30 à 50 milliards sur la période.
Contrastant avec l'inquiétude affichée par la Banque de France, S&P se montre optimiste sur la solidité des entreprises françaises. Notamment parce que les fonds levés en France ont été très souvent utilisés pour financer leurs filiales situées à l'étranger, qui n'avaient pas accès à des conditions aussi favorables. Si l'on retire les prêts intragroupe, l'endettement des sociétés françaises se « limitait » à 90 % du PIB en 2017. L'agence constate en outre qu'ils ont servi à des investissements en France et à l'étranger, ces derniers s'étant révélés très rentables. Un avantage contrebalancé par le fait que les entreprises sont particulièrement exposées aux risques de change et de taux d'intérêt hors zone euro.
Une grande partie des ressources financières obtenues est restée sur le bilan des entreprises sous formes de cash, leur donnant ainsi un matelas de liquidité suffisant pour faire face à leurs échéances. Conclusion de S&P : les défauts de paiement devraient rester limités, et l'endettement des entreprises n'aura a priori pas d'impact sur la note souveraine de la France. Avec un bémol de taille cependant : la situation ne sera tenable que si la hausse des taux d'intérêt est progressive.
Citation:
L'endettement des entreprises américaines suscite des inquiétudes
Par Nicolas Rauline
Publié le 22 janv. 2020
Les bonnes nouvelles macroéconomiques aux Etats-Unis ont presque fait oublier le débat sur la dette des entreprises. Pourtant, celle-ci atteint des records : près de 10.000 milliards de dollars, soit l'équivalent de 47% du PIB américain. Les taux bas ont en effet incité les entreprises, depuis le début des années 2010, à financer leurs investissements par de la dette.
Les opérateurs télécom, engagés dans la course à la 5G et dans le rachat de créateurs de contenus, sont les entreprises les plus concernées. AT&T, le champion toutes catégories a commencé à réduire sa dette qui approchait les 200 milliards, après avoir déboursé 85 milliards pour racheter Time Warner (avec de la dette en majorité).
Mais tous les secteurs sont concernés, comme l'automobile qui a emprunté pour se restructurer et financer la voiture autonome et électrique, ou encore les médias. Cette semaine encore, Netflix a annoncé qu'il comptait recourir à la dette pour faire face à la concurrence accrue.
Les cinq prochaines années verront arriver à maturité 4.000 milliards de dollars de dette. « Dans un contexte de taux bas, cette vague de refinancement à venir n'a rien d'alarmant, souligne Lydia Boussour, économiste senior chez Oxford Economics. Mais s'il y a un changement de conditions ou des perturbations sur les marchés financiers, cela pourrait créer des difficultés. »
Au vu du cycle historique de croissance - la onzième année d'expansion - il n'y a rien d'anormal à voir ces niveaux d'endettement. Mais c'est surtout la qualité de la dette qui est citée parmi les risques majeurs d'une prochaine crise. Pour l'investisseur Jeffrey Gundlach , qui avait prédit la crise de 2008, « le marché des obligations d'entreprise est probablement surévalué, ce qui ressemble beaucoup aux subprimes en 2006. » Un tiers des obligations seraient des «junk bonds » au risque très élevé.
En octobre, BlackRock estimait même dans un rapport qu'elles constituaient la moitié des émissions, contre 17% en 2001. « L'augmentation des titres notés BBB [les plus rémunérateurs, NDLR] a rendu le marché des obligations plus risqué qu'il y a quelques années, décrivait le fonds. Ces titres sont aussi les plus vulnérables en cas de récession. »
Leur valeur pourrait ainsi plonger au prochain retournement conjoncturel. Pas besoin d'une forte crise : un ralentissement deux fois moindre que la crise de 2008 ferait courir un risque à 40% de la dette des entreprises dans les économies développées, soit 19.000 milliards de dollars, selon le FMI.
« La qualité de la dette s'est détériorée de manière significative ces dernières années. Nous ne pensons pas que la dette des entreprises créera une crise, mais elle peut accentuer la prochaine, juge Lydia Boussour. Les risques de récession faiblissent, mais les incertitudes vont demeurer en 2020 et les entreprises vont rester sous pression, notamment au niveau de leurs profits.»
Dernière inquiétude: on ignore qui détient réellement une partie de cette dette. Selon le Financial Stability Board, 80% de la dette à risque est aujourd'hui détenue par les banques, les compagnies d'assurance et les fonds d'investissement. Mais 20% - et probablement la tranche la plus risquée -serait aux mains d'intermédiaires non identifiés.