Moujik Looping a écrit:
Qu'appelez-vous des écarts ?
L'homme est ce qu'il est, il est donc sujet à l'erreur. Comme dans l'aviation, dans le nucléaire on a une démarche de pratiques de performances humaines très poussée. Mais, parfois, il y a des petits écarts entre ce qu'il faudrait faire et ce qui est fait. La plupart sont sans conséquences, je vous rassure. Et on a mis pas mal de choses en place.
Par exemple, il y a 30 ans quand je réalisais une procédure d'essais, je cochais les cases de ce que j'avais réalisé avec un X, puis a la fin, je remplissais un compte-rendu de l'essai, et c'est ce CR qui était validé par ma hiérarchie. Maintenant, c'est plus complexe, et un essai périodique qui faisait 5 pages, peut en faire 50. Déjà, il y a une analyse de risque pour m'informer des risques générés par mon essai, des phases de vigilance à avoir. Ensuite, il y a des points d'arrêts, ou l'exécutant signale qu'il va réaliser la partie sensible de l'essai. Il y a aussi un échange continuel avec la salle de commande, dans le cas où l'essai génère une alarme. Il y a 30 ans, je signalais à l'opérateur, avant de partir faire l'essai, que j'allais lui générer une alarme. Actuellement, le technicien qui manœuvre en local, appelle l'opérateur juste AVANT, il reste en ligne avec lui, et il valide en temps réel que l’alarme est bien apparue, et ensuite qu'elle s'est bien acquittée. Et l'opérateur a un support sur lequel il note l'apparition de l'alarme et sa disparition.
Ensuite, quand le technicien rend son compte-rendu, un autre opérateur va réaliser une analyse premier niveau de l'EP (Essai Périodique), si tout est conforme, il remplit un CR informatique dans le Système Informatique. Autrement, il note les écarts. Là-dessus, un cadre technique va faire une analyse second niveau (est-ce que l'alarme générée est bien apparue au tableau de bord informatique, ... Entre autre, il vérifie que tout est bien coché et bien renseigné. Quand on doit manœuvrer un robinet, avant un cocher comme quoi on avait mis le robinet dans la position demandée. Maintenant, on note "O" ou "F" selon la position demandée. Et bien entendu, cela sera contrôlé.
Et tout cela est auditable, c'est à dire qu'on archive les documents, et qu'on les présente aux inspections de l'ASN.
Mais, en fait, on s'est rendu compte que cette complexification entrainait une augmentation des écarts... La case pas bien cochée, parce que le gars sur le terrain a été surpris par un bruit, ou que la procédure lui a glissé des mains, ou ... Tous les écarts signalés lors des analyses premier ou second niveau sont tracées. EN cas de doute, on va refaire l'essai de A à Z, en signalant que le premier EP n'était pas satisfaisant.
Parfois, c'est un peu plus important,par exemple, il faut relever une pression, le capteur ne lit pas la pression attendue, et on se rend compte par la suite qu'un robinet n'avait pas été totalement ouvert. Et bien, c'est tracé, analysé, et s'il le faut, selon une grille d'analyse, on va déclaré cela comme un incident à l'ASN.
Sur les centaines de milliers de manœuvres et d'essais réalisés sur un réacteur, il y a toujours quelques écarts. La majorité sont très anodins. Quelques uns vont se retrouvés classés dans l'échelle INES. Depuis quelques années, la règlementation est devenue très ardue et parfois contradictoire. Caque année, un service rattaché directement à la présidence du Groupe EDF SA, l'IGSNR rédige un rapport accessible à tous les publics :
https://www.edf.fr/sites/default/files/contrib/groupe-edf/producteur-industriel/nucleaire/Notes%20d%27information/igsnr-2019-rapport-fr.pdfVoici ce qu'il note à ce sujet cette année :
Citation:
Lors de mes visites, j’observe que la conception et l’exploitation des réacteurs sont de plus en plus perçues comme une somme de règles à respecter et de processus documentaires à gérer. Je constate ainsi trop souvent, en exploitation comme dans l’ingénierie, une propension à traiter les sujets techniques et la sûreté principalement via le prisme des questions posées par l’autorité de sûreté et des autorisations à obtenir. Le lien avec la machine, et la perception du risque s’estompent.
Il me semble notamment que l’empilement de prescriptions et de processus a un impact négatif sur la culture de sûreté. Cela éloigne l’exploitant de son installation. Il a tendance à s’en remettre aux questions, interrogations et approbations de l’ASN, au lieu d’anticiper et d’apprécier les sujets avec son propre jugement. Confronté au respect de règles trop nombreuses, à la raison d’être parfois mal comprise, il peut perdre l’attitude de questionnement dès lors que la conformité réglementaire est assurée.
Il est indispensable que l’exploitant conserve sa responsabilité première vis-à-vis de la sûreté. J’appelle les responsables d’EDF à :
• stabiliser les référentiels en lien avec l’ASN,
• se concentrer sur la machine et ceux qui l’exploitent,
• travailler les compétences techniques,
• redynamiser la perception des risques (par exemple via l’accidentologie),
• entretenir la capacité de questionnement, notamment de la part du management et des filières indépendantes de sûreté.
Plus haut, j'ai signalé les écarts documentaires (documents opérationnels mal renseignés), puis les écarts dans le geste technique. et puis il y a les aléas techniques. Par exemple lors d'un EP on attend que tel critère technique soit atteint (par exemple, que tel manostat indique la pression de 10 bars, plus ou moins une margé d'erreur). Avant la règlementation était plus simple et compréhensible. Aujourd’hui, c'est devenus tellement confus que parfois on a dû faire des groupes de travail interdisciplinaires simplement pour savoir si on était réellement en écart. Donc l'impact sur le fait qu'on avait le droit à continuer à produire en réparant plus tard, ou réparer de suite. On a d'ailleurs plus souvent le cas où l'ASN nous signale par la suite que c'est très bien qu'on se soit arrêté pour réparer cela, mais que ce n'était pas obligatoire car on avait mal interprété tel alinéa qui nous autorisait à fonctionner malgré tel écart car il n'avait pas de conséquence sur la sûreté de l'installation.
Et bien, entendu, quand on arrêt pour réparer, les anti-nucléaires n'hésitent pas à dire partout que c'est la preuve qu'on est une industrie dangereuse. ALors que d'autres industriels, pour des pépins équivalents ne cessent pas de produire et ne signalent rien.