Le salon géopolitique de Passion-Histoire

Bonjour à tous,


-Est-il juste d’affirmer que les groupes djihadistes modernes que l’on croise au Sahel ou dans la Corne de l’Afrique sont la continuation des Djihads qui ont ravagé l’Afrique du XVIIIe jusqu’au XIXe avec les mêmes finalités et momentanément stoppés par la colonisation européenne ?

-Est-il également juste d’affirmer que comme les milices Janjawid au Soudan, les groupes islamistes qui ravagent le continent sont l’ultime émanation d’une suprématie arabe (linguistique et ethnique ) autrefois maitresse d’une large partie ces régions et qui exploitait ses peuples ? et dit autrement s’agit-il d’une revanche de l’ancien maître sur ses anciens esclaves affranchis une nouvelle fois par les hasards de la colonisation européenne ?


Merci d’avance pour votre aide

Tout à fait, c'est dans la continuité exaltée d'un mouvement qui avait porté des groupes humains dominés ou minorés (les "Arabes", les "Turcs"), mus par une révélation religieuse (l'islam), à renverser de prestigieux groupes dominants (les "Romains", les "Perses", les "Arabes" pour les "Turcs") et à se trouver en position dominante. Repoussés, vaincus (croisades, "Mongols", colonisations européennes, indépendances des "Balkans", de l'Afrique subsaharienne et des Indes, sionisme), les ultra-réactionnaires sunnites s'accrochent à ce qui leur reste (Sahara occidental, Rif, Algérie, Libye, populations non sunnites du Moyen-Orient, Kurdistan, Caucase, Indes) et manifestent toute leur frustration de ne plus pouvoir dominer ceux qu'ils continuent de considérer comme des sous-hommes. Comme leurs comparses occidentaux, les suprémacistes sunnites vont devoir ravaler leurs prétentions ; c'est en cours. En attendant, ils détruisent ce à quoi ils tiennent le plus, l'islam et la communauté musulmane.

J'ai toujours trouvé paradoxal que les Musulmans d'autrefois, qu'ils soient Arabes, Noirs ou Turcs, n'ont pas essayé de convertir de force les régions conquises. Certes, il y avait des impôts spécifiques aux populations restées chrétiennes ou animistes (voir l'impôt sur l'élevage des cochons dans l'empire Ottoman), mais pas cette volonté qu'on trouve aujourd'hui. Mais je connais trop mal le sujet pour avooir un avis tranché sur la question.

Je ne suis pas vraiment d'accord avec cette analyse.

En Afrique noire sahélienne, il n'y a pas de maître "arabe", mais des ethnies touareg ou noires qui avaient prospéré du temps des empires musulmans en profitant des flux commerciaux, à commencer par la traite négrière.

L'installation des comptoirs européens et la mise en place du commerce triangulaire a un peu rétablit l'équilibre au profit des ethnies côtières, mais cela n'a pas empêché les ethnies musulmanes de se structurer et de constituer des empires comme ceux de Samory Touré ou El Hadj Omar, dans le cadre du djihad peul.

La colonisation européenne a mis fin à leur domination des ethnies non musulmanes qui ont massivement adopté le christianisme et ont bénéficié de l'abolition de l'esclavage.

À la décolonisation, ce sont plutôt les ethnies des côtes, plus nombreuses, qui ont pris le pouvoir à la faveur d'élections faisant jouer à plein l'ethno-mathématique. Les ethnies de l'intérieur des terres, moins nombreuses et souvent constituées d'éleveurs - climat sahélien oblige, se sont vues marginalisées et entravées par l'établissement des frontières bloquant la circulation des troupeaux - frontières déclarées intangibles, ne l'oublions pas. Il s'en est suivi un ressentiment durable et pour certains, comme les touaregs, un appauvrissement certain.

C'est sur ce climat ethnique conflictuel que vient se greffer l'islam radical, qui semble pouvoir se superposer très facilement à tous les types de mécontentement. Il fournit aux insurgés l'accès à des armes et des financements, un appui spirituel (mourir en martyr pour le paradis des septantes vierges...) et politico-religieux en leur permettant de se poser en vrais Musulmans, qui prient en arabe et appliquent la charia. De là, leur volonté d'éradiquer l'islam traditionnel, principalement soufi et mêlé de pratiques animistes.

le phénomène est apparent dans un pays invraisemblable comme le Mali, avec ses deux carrés, où les ethnies du carré nord se sont révoltées contre celles du sud, et où les groupes ethniques détruisent les mausolées des saints soufis avec leurs bibliothèques.

Il serait possible d'avoir une discussion sur le forum d'histoire.

Mais ma compréhension globale est qu'il ne s'agit pas d'établir une dynamique religieuse, mais coloniale : à chaque fois, un groupe plus ou moins ethnique s'installe au pouvoir, en imposant aux conquis un statut de soumis qui les laisse exposés à une certaine violence (interdiction de porter les armes) et des prélèvements humains (esclavage, devchirme...) ou fiscaux discriminatoires. Il est plus simple de demander aux soumis de faire l'effort pour s'intégrer à la caste dominante.

Merci beaucoup pour vos réponses.

Il me semble qu’au début de la conquête islamique, pour être musulman, il fallait se greffer à une tribu arabe. Est-ce que par hasard cette manière « d’assimiler » à influencer les peuls jusqu’à aujourd’hui et dit autrement les Peuls sont-ils arabisés dans le même sens que pour les milices dites « Arabes » au Soudan ?

Concernant l’autre côté de l’Afrique :
Est-ce que vous savez si les insurrections djihadistes au Congo, au Mozambique et en Somalie sont dans la continuité de l’influence arabo-swahilie ? Et est-ce que ces mouvements radicaux s’organisent autour d’ethnies particulières svp ?


Merci d’avance pour votre aide

L'islam a probablement effectivement commencé comme un culte tribal, et après son avènement en tant que religion, en a gardé la coutume que tout converti doit se choisir un musulman dont il devient le client. Mais ce mécanisme ancien ne concerne probablement pas les Peuls, dont l'islamisation en masse semble débuter à la fin du XVIIIe siècle.

Il s'agit de l'histoire complexe des peuples de la boucle du Niger que François-Xavier Fauvelle décrit très bien. Les relations commerciales au travers du Sahara ont abouti à la formation de royaumes dont les souverains ont adopté l'islam comme religion d'élite, mais conservent leurs traditions païennes vis-à-vis de leur peuple. De ce fait, l'islam diffuse lentement dans la société et se mélange allègrement aux croyances locales. A la fin du XVIIIe siècle, Ousman Da Fodio fonde l'empire du Sokoto en se posant en tant que réformateur religieux et tenant d'un "vrai" islam, dans l'idée qu'il s'en fait.
Chef politique charismatique de son vivant, il inspire d'autres djihad en Afrique occidentale : celui de Sékou Amadou, fondateur de l'empire peul du Macina, celui de El Hadj Oumar Tall (marié à une des petites-filles de dan Fodio), fondateur de l'empire toucouleur, celui de Samory Touré, fondateur de l'empire Wassoulou, ou encore celui de Modibbo Adama, fondateur de l'empire Adamawa.

Il s'agit ici de phénomènes de conquêtes politiques qui se légitiment en mettant en avant la restauration religieuse. La revendication d'être de représenter les "vrais" musulmans offre le confort de permettre de prêcher la guerre sainte et d'agresser les voisins musulmans, forcément faux.

Il faudrait voir cela plus en détail, mais je ne pense pas qu'il faille chercher une influence ethnique arabe. La mouvance islamiste constitue un phénomène mondial totalement décentralisé, où des groupes déjà actifs se revendiquent de telles ou telles mouvance (Al-Qaida, l'Etat Islamique, Daesh...) afin d'obtenir des subsides et de profiter de la notoriété. J'avais lu quelque part que c'était un mécanisme de franchise.

Mais à étudier en tout cas.